Avec la montée en flèche des prix de l’électricité et du gaz, on peut s’interroger sur les conséquences pour le développement de l’hydrogène. Bien que le contexte actuel soit incertain, ce vecteur est plus que jamais présenté en Europe comme un levier pour surmonter la crise.

Le 14 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et la Première Ministre française Elisabeth Borne ont pris la parole pour évoquer la crise énergétique. Pour répondre à la crise de l’énergie à court terme, c’est-à-dire se préparer à l’hiver 2022-2023, Elisabeth Borne a annoncé un plan de sobriété, visant à réduire de 10 % notre consommation pour éviter les coupures de gaz et d’électricité. La Commissaire européenne a quant à elle fait des annonces sur la réponse à moyen terme à la crise actuelle : « découpler les prix de l’électricité de l’influence dominante du gaz. C’est pourquoi nous allons entreprendre une réforme complète et en profondeur du marché de l’électricité ». Il est vrai qu’avec un pic de 1 000€ le MWh atteint fin août en France sur le marché spot, contre 85€ il y a un an, il y avait de quoi marquer les esprits.

Depuis l’ouverture à la concurrence de l’électricité, le marché s’appuie sur une place boursière européenne, Epex Spot SE, sur laquelle s’échangent les MWh, avec des cours qui varient selon les pays en fonction de l’offre et de la demande. Or, sur ce marché de gros, le prix est fixé non pas en fonction du coût moyen de production d’électricité en Europe, mais à partir du coût de production « marginal » de la dernière unité de production électrique appelée sur le réseau. Lorsque la demande est faible, les installations nucléaires ou renouvelables suffisent, mais lorsque la demande est forte, les centrales thermiques sont mises à contribution. Et le coût de l’électricité est alors indexé sur le cours du gaz (ou du charbon). Le problème est que ce mécanisme fait s’envoler les prix en raison de la crise en Ukraine (une part importante de l’électricité en Europe est produite à partir de gaz naturel).

Alors que faire ? L’Europe peut plafonner le prix du gaz russe importé par l’UE (qui représente 41 % de la consommation), ce qui permettrait de limiter la forte volatilité du prix du MWh sur les marchés de gros. Elle peut aussi plafonner à 200 euros le MWh produit, hors centrales à gaz, afin de désindexer le prix de vente de l’électricité de celui du gaz naturel.

Le Président de France Hydrogène, Philippe Boucly, considère que « le climat est très incertain et il est difficile de dire quelles seront les conséquences pour la filière ». D’une part cela renchérit le prix de l’hydrogène carboné, produit par vaporeformage du méthane : l’objectif de produire un hydrogène décarboné à 1,5€/kg pour être compétitif avec l’hydrogène gris était fixé en considérant un prix du MWh de gaz de 20€, alors que celui-ci dépasse désormais souvent les 100 voire 200€. La cible de coût de compétitivité pour l’hydrogène décarboné passe donc plutôt à 4,5€/kg. Les effets d’accélération de cette compétitivité ne sont pas encore ressentis par la filière puisque le prix de l’électricité, corrélé à celui du gaz, augmente en parallèle.  

Mais le Président de France Hydrogène explique qu’il existe des solutions. Il invite les acteurs à se préoccuper de la production d’électricité et de la maîtrise des coûts, à travers des partenariats, et à se fournir quand ils le peuvent hors marché de l’énergie, par des contrats d’approvisionnement de long terme. Par exemple, Lhyfe a une relation de long terme avec EDP Renewables, qui est le numéro 4 dans le monde de l’énergie éolienne. Cet accord garantit à cet acteur français l’accès à une électricité renouvelable (et on le suppose à des conditions préférentielles). Le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, qui doit être examiné d’ici la fin du mois de septembre en Conseil des ministres, devrait permettre de développer un cadre pour ces contrats d’approvisionnement de long terme.

La hausse de l’électricité et du gaz est aussi l’occasion d’explorer d’autres voies comme la production à partir de biomasse. C’est le modèle que prône Haffner Energy avec son procédé Hynoca, en déploiement à Strasbourg notamment. Cet acteur produit de l’hydrogène vert ainsi que du gaz renouvelable remplaçant le gaz naturel, tout en capturant du carbone (via la coproduction de biochar) en recourant à la thermolyse du bois. La société, qui est entrée en bourse il y a quelques mois, a décidé d’accélérer ses investissements en R&D pour affiner sa technologie et la proposer à des industriels, consommateurs d’hydrogène ou de gaz, ainsi qu’à des acteurs de la mobilité propre.

En prenant les mesures adéquates, la crise des prix du gaz peut donc accélérer l’atteinte de la compétitivité pour l’hydrogène décarboné vis-à-vis de l’hydrogène gris, tel que souligné par Ursula von der Leyen devant le Parlement Européen à Strasbourg : « l’hydrogène peut changer la donne pour l’Europe ». « Nous voulons produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable d’ici 2030″, a-t-elle rappelé. Il s’agit en effet d’un engagement dans le cadre du plan REPowerEU, qui vise à réduire la dépendance de l’Union aux hydrocarbures russes. La présidente de la Commission européenne a annoncé par ailleurs la création d’une « banque européenne de l’hydrogène ». Sa vocation sera « d’aider à garantir l’achat d’hydrogène », avec un budget de 3 milliards d’euros « pour aider à construire le futur marché de l’hydrogène ».

« A ce stade, cela reste un peu vague », note Philippe Boucly. « Mais, tout ce qui permet de soutenir la filière va dans le bon sens », poursuit le Président de France Hydrogène. Lequel fait remarquer que le document de présentation du plan REPowerEU fait référence 55 fois à l’hydrogène dans ses 25 pages, et qu’un paragraphe lui est spécifiquement consacré. « Malgré les crises, comme le Covid, l’invasion en Ukraine et la sécheresse, il y a un intérêt de l’Europe et du gouvernement français pour l’hydrogène ». Et c’est l’une des alternatives pour surmonter la crise, selon le CEA. Sur son site, un économiste – David Proult, de l’I-Tésé, l’institut de recherche et d’étude en économie de l’énergie du CEA – citait en avril dernier l’hydrogène décarboné comme une des pistes pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Il évoquait par ailleurs la capture et la valorisation du CO2 pour en faire notamment du carburant de synthèse. Une voie sur laquelle travaillent de nombreux acteurs.

*RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité place le système sous « vigilance renforcée » – un niveau jamais utilisé jusqu’à présent – et n’exclut pas le recours à des coupures d’électricité temporaires, appelées « délestages », chez certains particuliers ou entreprises. Il a mis en place un indicateur Ecowatt qui donne la météo du réseau, le signal rouge étant celui d’une forte tension.