La Cour des Comptes a publié le 5 juin son rapport sur le soutien au développement de l’hydrogène décarboné. Elle préconise une révision à la baisse des objectifs, à travers une perspective limitée, à partir d’un triple biais : (1) un manque de prise en considération de la Stratégie nationale hydrogène (SNH) révisée, publiée à la mi-avril ; (2) une faible compréhension des politiques publiques sur la demande en hydrogène décarboné ; (3) une absence d’analyse de l’impact socio-économique du déploiement de l’hydrogène en France, et de son bénéfice en termes de souveraineté industrielle.

Des priorités et des objectifs actualisés dans la SNH révisée, omis par le rapport

La SNH de 2020 a essentiellement soutenu le déploiement de l’offre, équipementiers de la filière via les PIIEC hydrogène et les premiers écosystèmes de production-utilisation qui ont généré du retour d’expérience. La SNH révisée publiée le 16 avril dernier répond en partie aux « inquiétudes » de la Cour des Comptes avec des objectifs actualisés, réalistes au regard du retard qui a été pris, avec un ajustement à 4,5 GW en 2030, 8 GW en 2035.

Produire de l’hydrogène décarboné en France doit servir à décarboner et relocaliser les industries de base, qui historiquement utilisent de l’hydrogène (chimie, raffinage, engrais) et à développer de nouveaux procédés industriels nécessitant le recours à l’hydrogène pour se décarboner (acier). L’hydrogène servira également à décarboner les transports maritime et aérien grâce à une filière française de fabrication de carburants de synthèse ainsi que les usages ciblés de la mobilité routière lourde ou intensive, pour lesquels les solutions batteries ne répondent pas aux besoins des professionnels. D’autant que la filière industrielle de la mobilité est déjà existante, et représente 50% des emplois actuels de la filière.

Une confusion importante entre soutien financier et régulation économique

Pour décarboner les usages identifiés, l’hydrogène est un levier incontournable. En adoptant une stratégie hydrogène nationale ambitieuse, la France s’insère dans une dynamique mondiale, engagée par plus de 70 pays ayant leur propre stratégie. Le récent rapport de l’AIE[1] en témoigne : le reste du monde avance, et vite, Chine en tête. 

La décarbonation de ces usages est un enjeu climatique et industriel majeur, qui nécessitera   des investissements importants. A moyen terme, cela représentera effectivement un surcoût par rapport au fossile. Contrairement à ce que semble considérer la Cour des Comptes, le différentiel de coût avec le fossile n’est pas à compenser dans la durée par un financement public. En imposant des obligations adaptées aux acteurs privés, il est possible de répercuter ce surcoût de manière ciblée, tout en garantissant une acceptabilité économique et sociale. A titre d’exemple, l’acier bas-carbone renchérirait de moins de 1% le prix d’une voiture[2], tandis que l’utilisation de carburants bas-carbone par un porte-container entraînerait une inflation de moins de 10 centimes d’euro sur une paire de baskets importée[3]. Ainsi, il est bien prévu que le soutien financier public soit concentré sur l’amorçage de la filière industrielle, et non sur un financement pérenne des futures étapes de développement, contrairement à ce que suggère le rapport.

Tel que le soulignent les rapports de l’AIE et du CEA, les projets ne se développent pas là où les obligations ne sont pas adéquatement mises en place. Inversement, les projets se concentrent sur la production de carburants de synthèse pour l’aérien, précisément en raison de la mise en place d’obligations européennes. Ceci démontre et renforce l’urgence à établir le cadre de régulation économique qui permettra de respecter nos objectifs climatiques et de structurer en France une nouvelle filière industrielle d’excellence.

Déployer une nouvelle filière industrielle : un investissement aujourd’hui, des retombées durables demai

Le rapport met l’accent sur le coût de la filière, tout en omettant totalement ses retombées économiques et sociales, pourtant essentielles et stratégiques pour l’avenir de la France.

En effet, le déploiement de l’hydrogène en France à 2035, tel que visé par la Stratégie nationale, présente un potentiel d’impact socio-économique majeur : si un cadre approprié était rapidement mis en place, il pourrait contribuer à hauteur de 8% à la réduction du déficit de la balance commerciale en biens tout en permettant de réduire de près de 6 milliards d’euros la facture énergétique extérieure. En outre, 66 000 emplois pourraient être générés par la filière hydrogène française d’ici 10 ans.
Au-delà de ces retombées socio-économiques, le déploiement de l’hydrogène s’inscrit comme un enjeu de souveraineté crucial pour la France. Un exemple notable : la France, pourtant grande puissance agricole, importe 75% de ses engrais azotés dont une partie conséquente en provenance de Russie. Dans ce cadre, des projets, visant à relocaliser une partie de cette production, sont essentiels pour renforcer notre indépendance face à des vulnérabilités extérieures.

Des leviers stratégiques à activer

L’hydrogène a un rôle incontournable dans la décarbonation de notre économie. C’est un puissant vecteur de réindustrialisation et un moyen de renforcer notre souveraineté industrielle. Son déploiement exige la mise en place rapide d’outils de politique publique.

A cet égard, deux leviers sont particulièrement significatifs pour la filière. D’une part, il importe d’installer rapidement le mécanisme extra-budgétaire de l’IRICC (anciennement TIRUERT). Correctement dimensionné en cohérence avec les enjeux stratégiques et les objectifs affichés, il est la clé-de-voûte de la décarbonation des transports.
D’autre part, France Hydrogène rejoint l’appel de la Cour des Comptes à davantage traiter le déploiement des infrastructures de transport et stockage, essentielles à l’engagement des industriels, l’optimisation économique des modèles de production d’hydrogène et à la contribution des électrolyseurs à la résilience du système électrique. Ce volet reste en effet sous-représenté dans la Stratégie hydrogène révisée. Leur déploiement ne nécessite pourtant   pas l’engagement d’aides financières publiques mais bien un système de garanties de long terme, basé sur la mise en place d’un mécanisme de répartition intertemporel des coûts, indispensable pour déployer l’infrastructure sur ce vecteur « nouveau » dont les producteurs et consommateurs émergeront progressivement.

Pour Philippe Boucly, Président de France Hydrogène, « Le rapport de la Cour des Comptes pointe avec certains biais le coût du déploiement de la filière hydrogène, mais omet surtout de prendre en considération les bénéfices à court et long terme, qui incluent la réduction de la dépendance énergétique, la création d’emplois durables et les gains environnementaux.

Le déploiement d’une filière est un investissement certes, mais le temps n’est plus aux hésitations : la décarbonation de notre économie est un impératif ; l’ignorer nous exposera à des coûts bien plus élevés que celui des investissements nécessaires. La Stratégie Nationale révisée est une première réponse aux enjeux soulevés par la Cour des Comptes.

Le soutien aux usages est désormais primordial, et ce, sans délai. Engager cette dynamique permettra de déployer le plein potentiel de la filière, générer des emplois, renforcer notre souveraineté énergétique et contribuer à la réindustrialisation du pays. Reste à savoir combien nous sommes prêts à investir aujourd’hui pour réussir la transition énergétique et la réindustrialisation du pays. D’autres pays l’ont compris et s’y engagent résolument. »


[1] World Energy investment 2025, IEA, june 2025
[2] Cleaning up steel in cars, Transport & Environment, 2024
[3] The small price to pay to clean up shipping, Transport & Environment, 2022


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