Stratégie nationale hydrogène : la France se redonne un cap

En quatre ans, plus de 150 projets ont été soutenus, notamment via France 2030. Des projets structurants ont été lancés pour installer des sites de production d’hydrogène dans de grands bassins industriels comme à Fos-sur-Mer, la Vallée de la Chimie et autour du Havre, ainsi que pour développer des usines de fabrication d’équipements (électrolyseurs, piles à combustible, etc.) et les premiers écosystèmes de production-utilisation d’hydrogène. Ces premiers résultats prometteurs n’occultent pas le constat que l’industrialisation des solutions de réduction des émissions prend du temps, la filière étant encore en phase de maturation technico-économique, inhérente à toute nouvelle technologie.
Retour sur la Stratégie Nationale Hydrogène révisée
Face à l’évolution du marché et à la concurrence internationale, l’État réajuste sa stratégie, avec de nouvelles orientations assorties de mesures concrètes permettant de les atteindre. La stratégie aborde ainsi plusieurs volets :
Production d’hydrogène renouvelable et bas carbone
Le gouvernement a actualisé les objectifs fixés en 2020 pour la production d’hydrogène renouvelable et bas carbone, en mettant l’accent sur l’électrolyse. Ils s’élèvent désormais à 4,5 GW de capacité de production d’hydrogène d’ici 2030, contre 6,5 GW initialement et 8 GW d’ici 2035, contre 10. Cette actualisation prend en compte le décalage du marché, le temps de montée en puissance technologique, encore nécessaire.
Pour atteindre ces objectifs, des mesures sont mises en place, telles que le volet production du PIIEC Hydrogène, le mécanisme de soutien à la production d’hydrogène et la création des conditions nécessaires au développement de contrats d’électricité à long terme. Le soutien aux industriels électro-intensifs, avec notamment la compensation des coûts indirects du carbone au-delà de 2030, est également maintenu.
Décarbonation d’industries stratégiques
La stratégie nationale hydrogène révisée intègre le rôle de l’hydrogène dans la décarbonation d’industries stratégiques, telles que le raffinage, la production d’engrais, la chimie de base et l’acier, avec un soutien financier de 4 milliards d’euros pour la production d’hydrogène par électrolyse. Cela démontre une volonté de soutenir la relocalisation des industries et de maintenir des sites comme Dunkerque parmi les grands pôles de consommation d’hydrogène.
Aussi, de nouveaux projets seront soutenus par le PIIEC Hydrogène comme « Green Horizon » de Lhyfe & Yara pour l’ammoniac et « Masshylia » de TotalEnergies et Engie pour la raffinerie.
Décarbonation des transports
Dans son texte, le gouvernement met en avant la pertinence de l’hydrogène pour la décarbonation des mobilités lourdes et intensives. Dans le cadre de la mobilité routière, les usages sont clairement identifiés : une longue autonomie, une disponibilité élevée, un temps de recharge rapide et le maintien de la charge utile. Aussi, le lancement d’un appel à projets permettant de soutenir le déploiement de véhicules utilitaires léger à hydrogène a été annoncé.
Carburants durables
La Stratégie souligne le rôle croissant des carburants de synthèse pour l’aviation et le maritime dans le développement de la filière hydrogène en France et marque la volonté de soutenir leur développement. En parallèle de la stratégie, le gouvernement a annoncé les 4 lauréats de l’Appel à projets Carb Aero de France 2030 (KerEAUzen par Engie au Havre ; TAKE KAIR porté par Hynamics, filiale d’EDF, à Saint-Nazaire ; DéZIR porté par Verso Energy à Rouen ainsi que BioTjet porté par Elyse Energy dans le bassin de Lacq) pour la production de 270 kilotonnes de carburants d’aviation de synthèse chaque année, correspondant à 750 000 tonnes de CO2 évitées par an. Ces projets obtiennent un financement de 100 millions ; une enveloppe à mettre au regard du montant initial de 200 millions d’euros annoncés en 2023 par le Président de la République Emmanuel Macron.
Infrastructures de transport et de stockage
Le développement d’infrastructures de transport et de stockage massif d’hydrogène bas carbone, notamment au sein des hubs hydrogène de Fos-sur-Mer, Le Havre et la Vallée de la Chimie, est également un élément clé de la stratégie pour connecter producteurs et consommateurs et assurer une flexibilité sur le système électrique. L’objectif est ainsi de créer un réseau de 500 km de canalisations de transport d’ici 2030.
Chaîne de valeur et exportations
La stratégie met l’accent sur le soutien à l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène, pour faire de la France un acteur clé de la filière hydrogène à l’international. Le gouvernement a ainsi annoncé le soutien, dans le cadre du PIIEC, du projet de l’équipementier Gen-Hy pour la construction de son usine de membranes et d’électrolyseurs à Allenjoie dans le Doubs. En outre, il est également spécifié que l’appel à projets “Briques technologiques” porté par l’Ademe est reconduit. Pour capitaliser sur les capacités à l’export de la filière, des dispositifs de soutien financier et technique sont annoncés pour que la filière manufacturière se projette et sécurise des parts de marché à l’international.
Formations et compétences
Le programme Compétences et Métiers d’Avenir (CMA) pour l’hydrogène a permis de déployer des programmes de sensibilisation et de formation dans 11 des 15 régions françaises. Dans le cadre de sa visite en Bourgogne-Franche-Comté, le ministre Marc Ferracci a annoncé le soutienau lancement de « l’Ecole de l’hydrogène » avec un financement de 6 M€ dans le cadre de France 2030.
Une SNH II globalement bien accueillie par les acteurs de la filière
A la suite de la publication de la Stratégie Nationale Hydrogène révisée, France Hydrogène, qui rassemble les acteurs de la filière, a montré un accueil favorable, se félicitant que la filière ait enfin un cap clair, comme l’exprime Philippe Boucly : « La stratégie révisée constitue bien plus qu’un signal positif. Elle apporte un cadre structurant et rassurant pour les acteurs de la filière comme pour les investisseurs. C’est un repère stratégique indispensable pour réaffirmer le rôle de la France dans le déploiement de l’hydrogène aux niveaux européen et international ».
De son côté, Mathieu Guesné, fondateur et Président-Directeur-Général de Lhyfe a souligné : « Nous l’attendions depuis plusieurs mois, elle va offrir le cadre et la visibilité dont les acteurs de l’écosystème ont besoin pour prendre leurs décisions et avancer ».
En effet, le texte s’est largement fait attendre par les acteurs de la filière, du fait du retard pris à la fois par le secteur mais également par les pouvoirs publics. Pierre-Etienne Franc, Président du fonds d’investissement Hy24 a déclaré : « Le secteur paye le retard à l’allumage d’une stratégie ambitieuse, dévoilée il y a 4 ans, précisée il y a 2 ans et faiblement mise en œuvre ».
Pour la plupart des acteurs, les objectifs restent réalistes, malgré des ambitions revues à la baisse. En témoigne la réaction de Mathieu Guesné qui se réjouit : « En se fixant un objectif de production réaliste de 4,5 GW d’ici 2030, et en adossant à cet objectif des subventions et un mécanisme de soutien à la production d’hydrogène bas carbone et renouvelable, l’Etat se dote des outils à la hauteur de ses ambitions ». Philippe Boucly, de son côté, se satisfait également « des objectifs réalistes de 4,5 GW d’électrolyse déployés en France à 2030, et 8 GW à 2035 [qui] sont tournés vers la décarbonation d’industries stratégiques avec en conséquence le maintien d’emplois sur le sol national et la réduction de nos dépendances. »
France Hydrogène salue plusieurs aspects du texte*, notamment la reconnaissance du rôle de l’hydrogène dans la décarbonation d’industries stratégiques, le soutien à l’émergence d’une filière de production d’hydrogène pour la fabrication de carburants synthétiques pour le maritime et l’aérien en France, mais également la réaffirmation du rôle de l’hydrogène dans la mobilité lourde et intensive. L’association souligne que l’enjeu principal de la mobilité hydrogène réside dans les usages, bien identifiés dans le texte.
Certains acteurs de la mobilité se réjouissent tout particulièrement du lancement de l’appel à projets pour le déploiement des véhicules utilitaires légers.
Ainsi, Symbio, dans les colonnes du Figaro, loue « l’engagement volontariste du gouvernement » et « un moyen incitatif pour accompagner le développement d’une technologie et d’un segment où la France et l’Europe ont de l’avance à l’échelle mondiale, mais pour lesquels des efforts restent à poursuivre pour atteindre les objectifs de décarbonation ».
Loïc Voisin, Président de HysetCo, a estimé que cette annonce « est la confirmation de l’ambition, à court et long terme, de la France pour ce secteur clé de la transition écologique ». Et a ajouté : « HysetCo se réjouit de cet élan et est prêt à mettre à la route tous ces véhicules utilitaires dès 2025 » pour accompagner « ses clients dans leur transition rapide, concrète et réussie vers la décarbonation de la mobilité et l’amélioration de la qualité de l’air ».
Toutefois, d’autres acteurs ne se montrent pas réellement satisfaits du volet mobilité de la SNH, encore trop imprécis, notamment sur la mise en œuvre de la TIRUERT, dont l’activation est urgente pour accélérer le déploiement de la mobilité hydrogène et passer à l’échelle. Jean-Michel Amaré, Président d’Atawey, a souligné : « Il y a 2 ans, la France était en avance sur ses voisins, là, nous sommes en train de nous faire dépasser ».
Malgré un accueil global positif, quelques points de la Stratégie Nationale Hydrogène restent cependant en suspens pour la filière. Certains modes alternatifs de production d’hydrogène renouvelable et bas carbone comme la thermolyse de biomasse et la plasmalyse de méthane ne sont pas évoqués. Du côté des infrastructures, l’objectif fixé par le gouvernement marque une première étape, mais la filière insiste sur la nécessité de planifier dès maintenant un déploiement progressif du réseau, pour 2030 ainsi que pour 2035.
Enfin, France Hydrogène a également souligné qu’il serait essentiel de maintenir un effort soutenu sur les applications énergétiques stationnaires, en particulier dans les zones insulaires et les zones non interconnectées (ZNI), pour lesquelles le gouvernement, à travers son texte, n’a pas prévu de mesures spécifiques.
« La stratégie révisée fixe un cap clair pour la filière et permet à la France de recoller au peloton de tête mais sa mise en œuvre effective repose sur un certain nombre de conditions techniques, financières, réglementaires et opérationnelles qui restent à consolider, ce sur quoi nous allons continuer à travailler avec l’Etat » insiste le Président de France Hydrogène.
*Consulter le communiqué de France Hydrogène