Le sujet des fuites d’hydrogène et de l’impact qu’elles pourraient avoir sur le réchauffement climatique, prennent de l’ampleur. Tout d’abord, France Hydrogène soutient l’attention portée à ce sujet émergent : pour l’hydrogène comme pour l’ensemble des leviers de la transition énergétique, une analyse rigoureuse des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie, est nécessaire pour maximiser l’impact de décarbonation des solutions déployées. Néanmoins, il nous semble nécessaire de revenir sur quelques chiffres qui ont été relayés (notamment un pouvoir réchauffant supposément 200 fois plus élevé que celui du CO2), tant au niveau de l’impact réchauffant marginal du dihydrogène que des quantités potentielles d’émissions (de fuites) à considérer. Garder en tête les bons ordres de grandeur est impératif pour ne pas retarder la progression d’une filière structurante de décarbonation.

1. L’impact du dihydrogène dans l’atmosphère

L’hydrogène est un gaz présent dans l’atmosphère sous forme de traces, de l’ordre de 0,510 ppm. N’ayant aucun effet sur la santé humaine ou sur les écosystèmes, il n’est pas considéré comme un polluant atmosphérique. Cependant, au contact de l’atmosphère, l’hydrogène va enclencher certains mécanismes ayant des impacts potentiellement néfastes sur la couche d’ozone stratosphérique et sur l’effet de serre.

a) Impact de l’hydrogène sur l’ozone stratosphérique

En effet, la durée de vie de l’hydrogène est suffisamment longue pour lui permettre d’atteindre les plus hautes couches de la stratosphère et de réagir avec Ies radicaux hydroxyles pour former de la vapeur d’eau selon la réaction suivante : OH + H2 ➔ H2O + H. Cela a pour effet d’augmenter la concentration en vapeur d’eau entraînant un refroidissement de la stratosphère, ce qui (via des mécanismes plus complexes non détaillés ici) pourrait ralentir la reconstitution de la couche d’ozone attendue depuis l’interdiction des halocarbures. Dans une étude publiée en avril 2022, des chercheurs britanniques estiment que la réponse stratosphérique pourrait représenter environ 1/3 de l’impact réchauffant lié à de potentielles fuites d’hydrogène (1).

b) L’hydrogène comme gaz à effet de serre indirect

L’hydrogène étant une molécule diatomique homonucléaire (composée de 2 fois le même atome), elle ne possède pas de moment dipolaire ce qui l’empêche d’absorber un rayonnement infrarouge et n’est donc pas un gaz à effet de serre direct. Cependant, dans le cas d’une accumulation excessive dans l’atmosphère, sa réactivité avec certaines molécules de l’atmosphère peut entraîner une augmentation de la durée de vie et de la concentration de certains gaz à effet de serre : il est donc qualifié de gaz à effet de serre indirect.

En effet, lors de réactions avec les radicaux hydroxyles OH∙, ces derniers sont consommés. En temps normal, ils réagissent avec les gaz traces de l’atmosphère ce qui limite leur durée de vie et leur concentration. Parmi ces gaz se trouvent le méthane (CH4) mais également d’autres espèces responsables de la formation d’ozone troposphérique (CO, NOx, …), qui sont respectivement les 2ème et 3ème gaz à effet de serre les plus importants. Ainsi, un excès d’hydrogène dans l’atmosphère diminuerait la concentration de radicaux hydroxyles et rallongerait la durée de vie du méthane ainsi que des composés qui ultérieurement formeront de l’ozone troposphérique. L’impact de l’hydrogène comme gaz à effet de serre indirect se mesure donc aux impacts respectifs du méthane et de l’ozone qu’il engendre.

c) Le potentiel de réchauffement global de l’hydrogène

Un paramètre permettant de quantifier la contribution marginale d’un gaz au réchauffement climatique est le Potentiel de Réchauffement Global (PRG, GWP en anglais). Il s’agit du pouvoir réchauffant d’une masse de gaz rapporté au pouvoir réchauffant de la même masse de CO2, sur une durée donnée.

A date, une seule étude publiée dans une revue à comité de lecture (Derwent et al., 2001) a essayé de déterminer la valeur du PRG de l’hydrogène en sommant les PRG du méthane et de l’ozone troposphérique induits par un excès d’hydrogène dans l’atmosphère. Ces derniers ont une contribution respective de 3,4 (PRGCH4) et 2,4 (PRGO3) donnant une valeur du PRG de l’hydrogène de 5,8 sur une période de 100 ans.  Cette valeur est celle également reprise par le GIEC dans leur rapport de 2007 (IPCC, 2007). Récemment, une étude du BEIS (qui n’a pas été publiée dans une revue scientifique à comité de lecture) a recalculé ce PRG (sur 100 ans) en considérant un PRG de 4,7 du méthane troposphérique, de 3,2 pour l’ozone troposphérique, et de 3 pour la vapeur d’eau stratosphérique (dont l’impact était jugé marginal jusqu’ici), donnant ainsi une valeur de PRG de l’hydrogène 10,9 sur 100 ans, avec une incertitude de ± 5.

Pourtant, dans les quelques articles parus sur le sujet, le chiffre d’un PRG du dihydrogène plus de 200 fois supérieur à celui du CO2 revient souvent. Pour comprendre ce qu’il y a derrière cette valeur, il faut garder en tête qu’en matière d’émissions de gaz à effet de serre, la molécule étalon est le CO2 (on compte en « équivalents CO2 »), dont le PRG est toujours considéré égal à 1, quel que soit la période prise en compte. Seulement, l’hydrogène possède une durée de vie dans l’atmosphère d’environ 2 ans(2) contre environ 100 ans pour le CO2. Sur ces 2 ans, les effets d’un surplus d’hydrogène dans l’atmosphère seront bien plus importants que sur une période de 100 ans, expliquant la valeur de 200 qui est parue. Or, se référer au PRG instantané ou sur une période d’environ 2 ans, n’a pas de sens au regard des phénomènes d’accumulation atmosphérique des gaz à effet de serre et des changements climatiques. De manière générale, il apparaît peu pertinent de donner un PRG sans la période prise en compte, faute de quoi sa valeur est dépourvue de sens. Néanmoins, au regard de l’urgence climatique et de la trajectoire des émissions anthropiques cumulées, il peut paraître légitime considérer une période plus courte que les 100 ans conventionnels (PRGH2 = 10,9). L’analyse du PRG de l’hydrogène sur une période de 20 à 30 ans présente un intérêt majeur, et France Hydrogène espère que des études et publications scientifiques porteront prochainement sur ce sujet. Dans l’étude déjà mentionnée, le BEIS estime un PRGH2 sur 20 ans de 32,6.

2. Quelles quantités considérer pour les potentielles futures fuites d’hydrogène ?

Une fois réalisée cette analyse marginale de l’impact réchauffant de l’hydrogène, le cœur du sujet reste d’évaluer les quantités d’hydrogène qui pourraient fuiter dans l’atmosphère. Pour cela, Falko Ueckerdt, chercheur à l’Institut de Postdam (Allemagne) et interrogé suite à la conférence Euractiv Is green hydrogen really carbon-neutral ?(3) semble se baser sur une extrapolation du pourcentage des fuites de méthane, qui « se situe entre 0,5 et 3% ».  Nous pensons que cette extrapolation du méthane à l’hydrogène n’est pas vraiment valable, et que dans un système hydrogène les fuites seront bien plus limitées. Plusieurs raisons à cela.

Tout d’abord, environ 50% des fuites de méthane ont lieu lors de la phase de production (extraction) du gaz naturel (A. Alvarez, 2018)(4). L’hydrogène électrolytique n’est donc pas concerné par cette phase de la chaîne de valeur. Surtout, il semble essentiel de rappeler ce que l’hydrogène électrolytique vient remplacer en priorité, et donc éviter comme émissions : l’hydrogène utilisé comme matière première dans l’industrie et historiquement produit par vaporeformage du méthane. L’hydrogène obtenu par électrolyse permet donc non seulement d’éviter les émissions de CO2 du process de vaporeformage (plus de 11kgCO2/kgH2), mais également l’ensemble des fuites de méthane en amont, liées au cycle de vie du gaz naturel.

De plus, comme mentionné par Gniewomir Flis, expert hydrogène au sein d’Agora Energiewende, le fait que l’hydrogène soit nettement plus cher que le gaz naturel est supposé agir sur les exploitants des réseaux de transport comme une incitation mécanique à réaliser les actions nécessaires à la minimisation des fuites. Les protocoles de sécurité spécifiques à l’hydrogène imposent également une attention accrue aux opérateurs. Il est d’ailleurs à noter que le projet de révision de la directive sur les marchés de l’hydrogène et du gaz, contient des mesures visant à prévenir les fuites d’hydrogène. Ainsi, les hydrogénoducs devront faire l’objet d’inspections régulières. Même chose pour les installations de stockage ou les terminaux hydrogène.

Dans une deuxième étude publiée en avril 2022 (5), des chercheurs britanniques ont estimé les niveaux de fuite potentiels sur l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur hydrogène, et modélisé en conséquence le niveau de fuite global dans une « économie hydrogène ». Celui-ci serait compris entre 0,96 et 1,5%, sachant que l’utilisation d’hydrogène produit par électrolyse permet, au-delà de la décarbonation des procédés, d’éviter l’usage de méthane dont à la fois le PRG et le niveau de fuites le long de la chaîne de valeur, sont plus importants.

3. Impact réchauffant potentiel des fuites dans une « économie hydrogène »

Les deux études publiées en avril 2022 par le Département britannique des Affaires, de l’Energie et des Stratégies industrielles (BEIS), portant respectivement sur l’évaluation du potentiel de réchauffement global de l’hydrogène (sur 100 ans, PRGH2=11) et la modélisation du niveau de fuites dans une « économie hydrogène », sont complémentaires. En croisant ces deux études, nous arrivons à la conclusion que les émissions liées à ces fuites d’hydrogène représenteraient entre 0,38% et 0,6% des réductions d’émissions de CO2 obtenues grâce à la substitution d’énergies fossiles par de l’hydrogène décarboné. Par exemple, ces émissions représenteraient jusqu’à 0,6% des 6 millions de tonnes de CO2 non émises grâce à l’objectif français de 6,5GW d’électrolyse à 2030.

L’étude du BEIS sur le PRG ne nous permet pas totalement de calculer ce que les effets de réchauffement induits par les émissions liées aux fuites d’hydrogène représenteraient sur une période de 20 ans, relativement aux réductions d’émissions de CO2 obtenues grâce à la substitution d’énergies fossiles. En effet, si une évaluation du PRGH2 sur 20 ans est bien réalisée (=32,6), les effets de réchauffement évités notamment par la réduction des fuites de méthane (grâce à la réduction de sa consommation) ne sont pas estimés sur cette période. Ainsi, en prenant l’hypothèse conservative de considérer uniquement le facteur de 3 entre le PRGH2  sur 100 et 20 ans, les émissions liées à ces fuites d’hydrogène représenteraient entre 1,14% et 1,8% des réductions d’émissions de CO2 obtenues grâce à la substitution d’énergies fossiles par de l’hydrogène décarboné.

Conclusion

L’impact des fuites d’hydrogène sur le climat constitue un sujet de vigilance à ne pas négliger. La filière le regarde d’ores-et-déjà de près et des études complémentaires doivent être menées. A ce titre, Hydrogen Europe (dont France Hydrogène est membre), JRC, le Hydrogen Council, MarcoGas, Gas Infrastructure Europe, et le Clean Hydrogen Partnership, ont lancé début janvier 2022 une étude sur le sujet, avec un premier livrable attendu en juin 2022. Traiter ces problématiques complexes demande d’avoir les bons ordres de grandeur en tête et d’être précis dans les données utilisées. Tout a un impact et c’est bien la comparaison et la mise en perspective avec ce que l’hydrogène vient remplacer, qui doivent nous servir de boussoles dans nos choix technologiques pour réussir la transition bas-carbone.


(1) Atmospheric implications of increased hydrogen use, 2022, Department for Business, Energy and Industrial Strategy (Warmick et al.)

(2)  1,4 à 2,1 ans : Reassessing the variability in atmospheric H2 using the two-way nested TM5 model, 2013 – 2,5 ans : Global Environmental impacts of the hydrogen economy, 2006

(5) Fugitive hydrogen emissions in a future hydrogen economy, 2022, Frazer-Nasch Consultancy