Le transport routier de marchandises pèse significativement dans les émissions de gaz à effet de serre, représentant 21 % des émissions de CO2eq du transport routier en France, soit environ 25,1 MtCO2. Il est également responsable d'émissions importantes de particules fines et d'oxyde d'azote, qui affectent la qualité de l'air en particulier dans les centres-villes. Dans ce contexte, un effort important de transition énergétique du transport lourd de marchandises sera nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et combattre la pollution atmosphérique.

Les alternatives énergétiques au diesel, et en particulier les motorisations zéro émission à l’échappement – électrique à batterie et électrique à hydrogène, mais aussi électrique sur routes électrifiées (recharge par caténaire, induction ou rail) – joueront un rôle majeur dans la décarbonation du secteur dans les années à venir. Toutes ces technologies alternatives, et principalement à ce stade l’électrique à batterie et l’électrique à hydrogène, ont chacune un rôle à jouer. Une meilleure allocation possible de technologies tend à favoriser l’électrique à batterie lorsque la solution est compatible techniquement, du fait d’une meilleure efficacité énergétique globale, et électrique à hydrogène pour les cas moins adaptés à la batterie.

Dans les débats sur le choix des technologies pour la décarbonation du transport routier, trois assertions souvent relevées doivent être nuancées, pour aller dans le sens d’un mix technologique optimal privilégiant les choix technologiques les plus pertinents pour chaque usage :

  • Première assertion :  le temps de recharge des poids lourds électriques à batterie ne serait rapidement plus un obstacle à leur utilisation quel que soit le cas d’usage ;
  • Deuxième assertion : la masse des composants embarqués pour les poids lourds électriques à batterie serait rapidement équivalente à celle des poids lourds électriques à hydrogène quel que soit le cas d’usage, et ne se reflèterait pas sur la capacité de chargement du poids lourd ;
  • Troisième assertion : l’autonomie des poids lourds électriques à batterie serait comparable à celle des poids lourds électriques à hydrogène.

A partir de données sur les aspects de temps de recharge, de masse des composants et d’autonomie des véhicules issues du livre blanc de France Hydrogène sur les perspectives du poids lourd électrique à hydrogène pour le transport de marchandises, ces trois assertions sont passées au crible compte tenu des connaissances disponibles sur les deux technologies à date et à horizon 2030.

1. Les avantages en termes de temps de recharge

Pour un poids lourd électrique à hydrogène, équipé d’un réservoir de pression 700 bar vers lequel s’oriente principalement la filière, la recharge complète du réservoir à une station de distribution se réalise aujourd’hui à un débit de 60 gH2/seconde, permettant un temps de recharge de moins de 20 minutes.

C’est un temps de recharge six fois plus court que pour un poids lourd électrique à batterie. En outre, les évolutions attendues sur la vitesse de recharge devraient permettre d’atteindre 120 gH2/seconde à une pression de 700 bar dans un premier temps, voire éventuellement jusqu’à 180 puis 300 gH2/seconde, réduisant alors les temps de recharge respectivement à moins de 10 et 6 minutes.

En comparaison, pour obtenir 500 km d’autonomie avec un poids lourd électrique à batterie, sans dépasser 80 % de capacité rechargée (car au-delà de 80 %, la vitesse de recharge baisse significativement), le temps de recharge est aujourd’hui de l’ordre de 120 minutes avec une borne de recharge ultra-rapide d’une puissance de 350 kW.

Des chargeurs de plus grande puissance sont en cours de développement. L’ambition du règlement sur les infrastructures pour carburants alternatifs (AFIR), présenté le 14 juillet 2021 par la Commission européenne dans le cadre du Paquet Fit for 55, envisage l’installation de sites de recharge de puissances totales de 1,4 MW en 2025 et 3,5 MW en 2030 sur les principaux corridors autoroutiers du réseau européen RTE-T. Ces sites de recharge comprendront plusieurs chargeurs, dont les puissances unitaires maximales pourraient atteindre 600 kW en 2025 et 1 MW en 2030. Le développement de chargeurs haute puissance de 1 MW pourrait permettre un temps de recharge de moins de 45 minutes pour 500 km d’autonomie, ce qui correspondrait à la pause obligatoire qui doit être effectuée par les conducteurs européens de poids lourds toutes les 4 heures.

Dans ce cas, la puissance totale des points de recharge envisagée jusqu’à 3,5 MW ne permettra pas de charger plus de 3 poids lourds à la fois, ce qui s’accompagnera d’importantes contraintes opérationnelles. Par ailleurs, ces chargeurs haute-puissance génèreront des contraintes importantes sur les réseaux locaux d’électricité pour assurer la recharge des véhicules, ou nécessiteront la mise en place de batteries tampon qui augmenteront l’empreinte au sol des stations. Enfin, ces temps de recharge théoriques diminueront significativement après 80 % de recharge de la batterie, et dépendront en pratique de nombreux paramètres comme la température ambiante ou l’état initial de la charge de la batterie.

2. Les avantages en termes de poids et charge utiles

Pour remplir un objectif de 500 kilomètres d’autonomie, un poids lourd électrique à hydrogène doit embarquer un réservoir d’hydrogène d’une masse de l’ordre de 750 kg, une batterie de faible capacité d’une masse de l’ordre de 780 kg, une pile à combustible de 280 kg, et un moteur électrique de 350 kg, soit un total de l’ordre de 2,16 tonnes de composants pour un tracteur à semi-remorque.

En comparaison, la technologie électrique à batterie demande l’intégration au poids lourd d’une batterie de haute capacité, et compte-tenu des développements technologiques actuels pour les batteries, un tracteur à semi-remorque électrique à batterie équivalent devrait embarquer 4,3 tonnes de batteries pour atteindre 500 km d’autonomie, qui s’ajoute à un moteur électrique de 350 kg. De fait, cette masse embarquée diminue la capacité de chargement des véhicules, d’où un impact sur le modèle d’affaires des transporteurs qui nécessite de maximiser le volume et la charge des biens transportés. D’après l’étude «Fuel Cell Hydrogen Trucks » publiée par le FCH JU en 2020, la densité énergétique des batteries pourra augmenter de 30 % ou plus d’ici à 2030, ce qui signifie qu’un tracteur à semi-remorque électrique à batterie devrait embarquer 3,2 tonnes de batteries en 2030 au lieu de 4,3 tonnes en 2023, toujours pour atteindre 500 km d’autonomie.

Si la masse de composants embarqués par les poids lourds électriques à batterie va diminuer, celle-ci restera importante et nettement supérieure à celle des poids lourds électriques à hydrogène, puisque le remplacement d’un tracteur à semi-remorque diesel par une version électrique à batterie impliquerait une augmentation du poids et du volume liés aux composants pour le carburant et au système de propulsion de l’ordre de +360% au stade actuel des développements sur les batteries, et a priori +260 % à 2030, à comparer avec environ +85 % pour la version hydrogène.

3. Les avantages en termes d’autonomie

Enfin, la quantité d’énergie embarquée relativement au poids des composants affecte également l’autonomie des véhicules, facteur clé pour des transporteurs. La majorité des poids lourds électriques à batterie actuellement en développement affichent des autonomies en conditions réelles de l’ordre de 200 à 300 km. Les véhicules électriques à batterie sont susceptibles de voir leur autonomie réduite sur certains cas d’usage comme le transport de groupes frigorifiques ou sur des itinéraires géographiquement contraints : dénivelés importants, basses températures en hiver, utilisation de la climatisation en été, etc. Cependant, les développement en cours visent un objectif de 500 kilomètres d’autonomie d’ici à la fin de la décennie.

En parallèle, les premiers modèles de poids lourds électriques à hydrogène ont des autonomies de 400 à 800 km et les modèles en développement visent à dépasser 1000 km d’autonomie en conditions réelles au cours de la deuxième partie de la décennie, quelle que soit la technologie utilisée (hydrogène sous forme gazeuse à 700 bar ou hydrogène liquide).

Conclusion

Pour les véhicules électriques à batterie et à hydrogène, l’analyse des caractéristiques clés que sont les temps de recharge, la masse des composants embarqués et l’autonomie confirme que si l’électrique à batterie doit être privilégié pour les usages ne nécessitant pas une autonomie particulièrement importante et/ou des poids lourds de petits gabarits, destinés notamment aux livraisons en centre-ville ou sur des espaces géographiques de l’ordre du département ou de la région, l’électrique à hydrogène est à l’inverse particulièrement adapté aux usages demandant des autonomies et charges embarquées importantes, ou nécessitant une grande flexibilité opérationnelle, comme par exemple les tracteurs long-courriers effectuant des livraisons nationales et internationales.

L’engagement des acteurs de la filière, appuyé par un soutien gouvernemental, devra permettre la montée en puissance de la filière au cours de la décennie en cours et la mise en place des solutions hydrogène permettant de répondre aux impératifs opérationnels tout en proposant des offres économiquement compétitives. Le positionnement des acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur notamment en France, et membres de France Hydrogène et France Hydrogène Mobilité, sera donc clé pour que la filière française (et européenne) se positionne en fer de lance du développement puis de la commercialisation à grande échelle de ces solutions, qui joueront un rôle essentiel pour l’avenir d’un transport de marchandises plus respectueux de l’environnement.