Le 5 décembre, la coentreprise de Forvia, Michelin et Stellantis a inauguré la gigafactory de Saint-Fons, près de Lyon. Le projet « SymphonHY » va permettre de passer à l’échelle et de rendre les piles à combustible plus abordables pour la mobilité.

Par rapport à d’autres inaugurations d’usines ou des poses de première pierre, cette journée s’est distinguée par la présence de personnalités. On comptait en effet dans l’assistance les grands patrons des trois actionnaires, deux ministres (plus un troisième sous la forme d’une intervention en vidéo), le Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que des partenaires. Symbio exposait également dès l’entrée de l’usine plusieurs véhicules (des utilitaires de Stellantis, le bolide MissionH24, le dernier bus Hycity de Safra et l’autocar rétrofité par GCK de la région AURA).

Une première application avec les utilitaires

Sur un marché où 10 acteurs dans le monde maîtrisent la pile à combustible, la société a le sentiment d’avoir opté pour la bonne stratégie. Symbio a en effet choisi d’aborder le segment des véhicules utilitaires avec une pile de 40 kW. La gamme comprend aussi des systèmes de piles à 75, 150 et 300 kW. L’entreprise, qui a commencé à produire ses premières piles à la fin de l’été, prévoit d’en fabriquer 10 000 en 2024. Et elle se fixe pour objectif d’atteindre le seuil de 50 000 systèmes par an vers 2027/28, de façon à rendre la technologie plus abordable. « A Villeurbanne, on assemblait à la main, comme chez Hermès. Ici, le process est automatisé dans cette usine qui est la plus grosse d’Europe », a souligné le Président de Symbio, Philippe Rosier. L’ambition est clairement de devenir un leader européen, et même mondial.

Un soutien de trois grands patrons de l’industrie automobile

« Quelques semaines après avoir inauguré deux sites majeurs de Forvia en France pour accélérer la décarbonation de la mobilité, je suis très heureux de participer à cette nouvelle étape pour Symbio, qui est désormais dimensionné pour relever les défis du marché mondial », a déclaré Patrick Koller, CEO de Forvia. L’équipementier « croit en la technologie hydrogène, seule alternative complémentaire crédible à l’électrification par batteries. Avec Symbio, nous couvrons 75% de la chaîne de valeur de la mobilité hydrogène, des piles à combustibles aux systèmes de stockage », a souligné le dirigeant. « Michelin a cru très tôt dans l’hydrogène, dès 1974, et dans Symbio que nous avons racheté avant d’en faire une co-entreprise avec Forvia en 2019 », a souligné Florent Menegaux, CEO de Michelin. « Cette technologie s’avère être un complément indispensable pour satisfaire les besoins d’autonomie kilométrique, notamment pour les véhicules utilitaires qui commencent à être équipés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Groupe a annoncé très récemment, par le biais de sa filiale Watèa by Michelin, opérateur de mobilité spécialisé dans la transition énergétique des flottes professionnelles, une offre proposant des véhicules à hydrogène », a-t-il poursuivi. « C’est l’industrie du futur », assure-t-il. Carlos Tavares, CEO de Stellantis, a déclaré quant à lui : « Symbio est l’illustration même que trois entreprises enracinées en France, leaders dans leurs domaines respectifs, peuvent unir leurs forces et leur expertise pour être à l’avant-garde ». Et de souligner : « l’hydrogène fait partie de l’ensemble des technologies que nous proposons à nos clients de véhicules utilitaires légers. Cette technologie permet de soutenir notre objectif audacieux d’atteindre, d’ici à 2030, 100 % de nos ventes en électriques en Europe et 50 % aux États-Unis », a déclaré le dirigeant.

La mobilité (très) lourde plus tard

Présent dans l’automobile, l’industriel s’investit aussi dans le bus, le rétrofit (VUL, autocars) et le camion. Il prévoit même d’aller sur le bateau et le train au-delà de 2030. Symbio dispose déjà de 20 clients, qui sont répartis à travers toute la planète, à l’exception notable de la Chine. Dans les mois et années qui viennent, la société fera des annonces, tant dans la mobilité légère (chariots-élévateurs) que dans la mobilité plus lourde et plus intensive. La gigafactory de Lyon fait partie d’HyMotive, un projet industriel et technologique stratégique soutenu par l’Union européenne et le Gouvernement français, via les Projets Important d’Intérêt Européen Commun (PIIEC). Celui-ci représente un investissement global d’1 milliard d’euros sur 7 ans, dont la moitié prise en charge par l’Etat français. En plus d’une usine avec Schaeffler pour les plaques bipolaires en Alsace, Symbio prévoit d’installer une seconde gigafactory, ce qui permettra de doubler ainsi sa capacité de production globale à 100 000 systèmes par an en France dès 2028. Le projet vise également à développer une technologie de rupture pour soutenir la compétitivité de la pile à combustible. La volonté est d’atteindre la parité avec la mobilité électrique à batterie (BEV) et les motorisations thermiques traditionnelles dès 2030. Les ambitions de Symbio sont de produire 200 000 unités à l’échelle internationale dès 2030. L’industriel va aussi s’appuyer sur d’autres sites internationaux. Il est présent par exemple aux Etats-Unis depuis 2021, où il bénéficie déjà d’une usine-pilote située en Californie, approvisionnée dans un premier temps par les implantations européennes du groupe. Mais parallèlement, Symbio étudie les opportunités pour se développer et construire une nouvelle gigafactory de piles à combustible sur ce continent.

Une priorité affichée pour l’industrie

A priori, la venue d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique et de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie, était de bon augure. D’autant que la rumeur courait la veille que les ministres allaient « présenter les contours du projet de la nouvelle stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène ». En préambule, Agnès Pannier-Runacher a fait part de son « envie de retourner dans l’industrie » en voyant cette gigafactory, qui a bénéficié d’un soutien du gouvernement « dès le premier jour ». Et de poursuivre : « avec l’Europe on peut gagner et on est capable de reprendre la main ». Ensuite, la ministre a fait quelques annonces. Si on connaissait déjà l’objectif des 6,5 GW pour les capacités d’électrolyse en 2030, elle a évoqué l’objectif de 10 GW en 2035. Par contre, la ministre souhaite réserver l’hydrogène aux « usages les plus importants ». Elle a aussi évoqué l’infrastructure de transport avec 500 km de pipelines à court terme, de façon à relier les hubs de production aux clients finaux. A ce propos, elle s’est félicitée du choix de l’Europe de sélectionner certains projets pour des aides, dont la partie BarMar de H2Med. Mme Pannier-Runacher a aussi fait référence aux 4 milliards pour le soutien à la production d’hydrogène bas carbone et à la taxe TIRUERT* qui permet de réduire de 5 euros par kilo l’écart par rapport au vrai prix de l’hydrogène. Pour sa part, le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, s’est félicité du consensus politique qui a accompagné le projet de Symbio.

*TIRUERT : Taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport

Soutien ou pas à la mobilité ?

La cérémonie s’est conclue sur un message vidéo de Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie a souligné que « sans hydrogène il n’était pas possible de décarboner la mobilité ». Il a évoqué des soutiens à la mobilité, en particulier pour les utilitaires légers et lourds. Toutefois, ce point n’a pas complètement convaincu les industriels. Les grands patrons (Philippe Rosier pour Symbio, Patrick Koller pour Forvia, Florent Ménégaux pour Michelin et Carlos Tavares pour Stellantis), attendent des éclaircissements. « Si on privilégie l’hydrogène pour la production d’acier, on risque d’avoir des aciers plus chers qui vont rendre nos véhicules plus chers alors qu’on fait tout pour les rendre abordables », estime M. Koller. « On ne peut pas se permettre une nouvelle inflation ». Pour sa part, Florent Ménégaux, relativisait en soulignant que « les pouvoirs publics ne parlaient même pas d’hydrogène il y a 4 ans ». Quant à Carlos Tavares, il a déclaré qu’il fallait au moins 30 000 euros d’aides pour couvrir le surcoût au démarrage de la mobilité hydrogène.

La réaction de France Hydrogène

Le jour même, l’association a tenu à réagir. « Les objectifs de déploiement de 6,5 GW de capacités d’électrolyse à 2030 et de 10 GW en 2035 correspondent aux minimums des projets que nous avons identifiés dans le cadre de nos collectes et aux besoins à satisfaire des filières industrielles à décarboner », a énoncé d’abord Philippe Boucly.  Ensuite, il a exprimé un souhait. Alors que « l’hydrogène renouvelable et bas-carbone produit sur le territoire est destiné à la décarbonation de l’industrie et des mobilités lourdes », le Président de France Hydrogène considère qu’il y a « un segment qui devrait, selon nous, également inclure la mobilité intensive, qui fait sens dans l’usage et permet de soutenir une offre industrielle française déjà disponible ». Le Président de France Hydrogène a par contre salué la TIRUERT*, qui « sera notamment une pièce centrale pour créer des champions français d’ici 2030 sur la production de carburants de synthèse à destination des transports maritime et aérien, segment d’intérêt sur lequel la filière travaille à l’élaboration d’une vision globale ».  En résumé, Philippe Boucly évoque une « continuité dans la réaffirmation des bons objectifs » et une « adaptation aux nouveaux contextes européen et international ».