La publication de règles détaillées pour définir ce que constitue l'hydrogène renouvelable au sein de l'Union Européenne, avec l'adoption de deux actes délégués le 10 février, par la Commission, définissant les RFNBOs [aux articles 27(3) et 28(5) de RED2], requis au titre de la directive sur les énergies renouvelables, a été interprétée comme une victoire de la France sur la reconnaissance du nucléaire. Ils doivent encore être validés par le Parlement et le Conseil.

Tout est parti d’un article publié le 12 février par le site Euractiv, annonçant « la reconnaissance du nucléaire dans l’hydrogène vert européen ». C’est en fait une première lecture erronée qui a été faite d’un aménagement proposé par la Commission Européenne pour les Etats disposant d’un mix électrique décarboné, en l’espèce grâce au couple nucléaire-renouvelables. Ainsi, en France et en Suède, les actifs d’énergies renouvelables auxquels sont connectés les électrolyseurs via des PPA, n’auront impérativement ni à être additionnels (c’est-à-dire mis en service au plus tard 36 mois avant la mise en service des électrolyseurs), ni à respecter le critère d’absence d’aides d’Etat. Cela a des impacts positifs majeurs, en rendant éligibles un volume considérable d’installations d’énergies renouvelables pour la production d’hydrogène en France. Et cela permet en particulier aux électrolyseurs français de s’approvisionner notamment sur des centrales hydroélectriques. Il sera donc possible de produire uniquement des RFNBOs tout en maintenant un facteur de charge élevé, point décisif pour la compétitivité de l’hydrogène produit et pour répondre au besoin de stabilité d’alimentation en hydrogène des utilisateurs finaux (particulièrement industriels). 

Et la Commission européenne de rappeler, dans un communiqué, publié le 13 février que « les actes délégués proposés découlent de la directive sur les énergies renouvelables, dans laquelle le nucléaire ne figure pas parmi les sources d’énergie renouvelables », précisant : « Dans le cadre du train de mesures sur la décarbonation des marchés de l’hydrogène et du gaz proposé en décembre 2021 et en cours de négociation par les colégislateurs, la Commission a proposé une définition de l’hydrogène bas carbone selon le critère de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 70% par rapport au comparateur fossile. » Si celui-ci est fixé à 94gCO2eq/MJ comme proposé par le Parlement et le Conseil, pour être qualifié de bas-carbone, l’hydrogène produit ne devrait pas dépasser un contenu l’hydrogène bas-carbone de 3,38kgCO2/kg. La Commission propose de publier une méthode d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre de l’hydrogène bas-carbone et de ses dérivés d’ici le 31 décembre 2024, tandis que le Conseil et le Parlement appellent à accélérer sur l’établissement de cette méthodologie.

Ainsi, suite à la publication des actes délégués le 13 février, France Hydrogène a publié un communiqué saluant « une avancée considérable ». Toutefois, l’association jugeait qu’il « serait erroné de la considérer comme une reconnaissance du rôle de l’hydrogène nucléaire, ou électrolytique bas-carbone ». Elle soulignait d’ailleurs qu’en l’état, « l’hydrogène produit par des électrolyseurs connectés au réseau électrique français qui s’approvisionneraient sur des capacités électronucléaires (via un contrat de long terme par exemple) au lieu de PPAs* renouvelables, ne pourrait être comptabilisé dans l’atteinte des cibles d’utilisation d’hydrogène renouvelable définies dans RED III, ni entrer dans le périmètre de l’Innovation Fund ou dans le périmètre annoncé de la Banque européenne de l’hydrogène ». Pour Philippe Boucly, Président de France Hydrogène, « L’histoire ne s’arrête pas là, nous poursuivrons nos efforts pour que l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire soit reconnu dans l’atteinte des cibles de décarbonation ».

Le site Euractiv est revenu un peu plus tard sur ces fameux actes délégués, en titrant que « la France demande de la cohérence entre les textes européens ». Ces propos avaient été tenus par le cabinet de la ministre de l’Énergie, qui visait notamment la directive énergie renouvelable (RED II) en cours de négociation par les législateurs européens. Selon cette même source, « l’ensemble des autres textes à venir sur le sujet hydrogène devraient aussi prendre en compte les conclusions de ces derniers jours ». Et Euractiv de traduire : « Il s’agit ainsi des textes législatifs comme le règlement ReFuelEU sur les carburants dans l’aviation, mais aussi des memorandums d’entente (MoU). Ce pourrait également être le cas dans le financement des futurs projets d’hydrogène, dans le cadre notamment de la banque européenne de l’hydrogène annoncée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en septembre dernier ».

Effectivement, Le Monde rappelait récemment que cinq projets législatifs communautaires en cours d’examen font déjà les frais de cet affrontement entre la France et l’Allemagne sur le nucléaire. Il s’agit de la directive révisée sur les énergies renouvelables (REDIII), du paquet gazier, du règlement sur les carburants aériens durables (ReFuelEU Aviation) et de son jumeau pour le transport maritime (FuelEU Maritime), ou encore la banque de l’hydrogène. La querelle entre les deux pays pourrait aussi impacter deux autres textes stratégiques que la Commission européenne doit bientôt présenter : le premier sur la réforme du marché de l’électricité européen, le second sur la manière de développer dans l’Union européenne une industrie verte compétitive face aux offensives chinoise et américaine. « S’interdire d’utiliser le nucléaire, qui est une énergie émettant moins de carbone que le photovoltaïque ou l’éolien, est une position climaticide, et absurde », répète la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. « Si la France se repose sur son nucléaire, elle ne fera pas le nécessaire en termes de renouvelables », fait-on valoir côté allemand. On en est encore là…

*Power Purchase Agreements