Lors de la conférence mondiale pour le climat à Charm El-Cheikh, plusieurs pays ont demandé à l’Organisation maritime internationale d’être plus ambitieuse et de viser le « zéro carbone » d’ici à 2050.

« Si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les dix plus grands émetteurs mondiaux », ont rappelé les gouvernements américain et norvégien, en présentant le 7 novembre leur Green Shipping Challenge (« défi de la navigation verte ») à Charm El-Cheikh, où se tenait la COP27. La coalition, animée par le premier ministre norvégien et l’envoyé spécial pour le climat John Kerry, regroupe bon nombre de pays (mais pas la France), ainsi que des ports et des entreprises comme Maersk et Amazon. Lors de cet événement, elle a demandé à l’Organisation maritime internationale (OMI) de revoir son objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO₂) et de viser le « zéro carbone » plutôt que la diminution de moitié des émissions d’ici à 2050. Le problème est que le fret maritime ne cesse de prendre de l’ampleur. Ainsi, l’OMI table sur un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050, alors qu’émergent à peine les solutions techniques pour décarboner en profondeur le secteur. La pollution du transport maritime, qui représente actuellement 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, pourrait passer à 17 % d’ici à 2050 si rien n’est fait.

En 2022, l’ensemble de la flotte mondiale compte plus de 100 000 bateaux, dont la moitié de navires marchands, les plus consommateurs d’énergie. Ces derniers utilisent l’un des carburants les plus sales au monde, le fioul lourd : un résidu visqueux du pétrole et difficile à brûler. Et en plus des gaz à effet de serre, les navires relâchent dans l’atmosphère des particules de soufre dangereuses pour la santé et l’environnement.

Pour remplacer le pétrole « bunker », le gaz naturel liquéfié (GNL) est aujourd’hui une des options. Il permet la réduction massive des émissions de soufre et de particules fines. Néanmoins, si le GNL permet bien de réduire nos émissions de carbone, cela plafonne entre 14 et 22% (hors incorporation de bio-GNL). Une décarbonation en profondeur du secteur implique ainsi le passage à des carburants à faible émission de carbone comme les biocarburants non alimentaires durables, le biométhane, l’hydrogène décarboné (renouvelable et bas-carbone) et les carburants de synthèse comme le e-méthanol.

Certains acteurs du transport maritime ont choisi de passer le pas, à l’image du premier armateur mondial, Maersk. Le groupe a annoncé qu’il mettrait en service une vingtaine de navires au méthanol entre 2023 et 2025. Pour les alimenter, le groupe danois s’est associé à l’Espagne, où le gouvernement soutient la création de deux sites de production, l’un en Andalousie, l’autre en Galice. Les sites vont permettre de produire « deux millions de tonnes » de méthanol renouvelable par an à l’horizon 2030. De quoi permettre à l’armateur de décarboner 10 % de sa flotte de bateaux. Mais, Maersk a besoin d’environ six millions de tonnes de méthanol décarboné par an pour atteindre son objectif de réduction d’émissions de CO2 d’ici à 2030 et de « quantités encore plus importantes » pour atteindre à terme son objectif de neutralité carbone. Le groupe entend produire ce carburant en interne dans cinq ou six sites dans le monde, faute d’offre actuellement existante sur le marché. Après l’Espagne, il pourrait cibler l’Égypte.

Pour sa part, le motoriste allemand Man Energy Solutions, qui équipe la moitié de la flotte mondiale, travaille à la conception de navires utilisant de l’e-ammoniac, produit à partir d’hydrogène et d’azote. Les premiers pourraient prendre la mer en 2025.

Dans le domaine de l’hydrogène, l’exemple pourrait venir de France. Après un tour du monde initié en 2017, Energy Observer va poursuivre son aventure avec un tout nouveau navire. Et ce ne sera pas un catamaran. Long de 120 mètres et dédié au transport maritime, ce navire polyvalent (pouvant notamment servir comme porte-container) sera alimenté par de l’hydrogène liquide. Du côté des partenaires du projet, on retrouve sans surprise le groupe Air Liquide, mais aussi EODev (filiale d’Energy Observer), ainsi que le groupe CMA CGM (leader du transport maritime et logistique, qui devrait être le premier à tester le navire), le cabinet d’architecture navale LMG Marin, le Cluster Maritime français et l’institut T2EM. CE serait une grande première pour les longues distances. Actuellement, la pile à combustible s’applique plutôt à des barges, des navettes de transport de passagers, des remorqueurs, des bateaux de pêche, des yachts ou encore des ferries. Il faut aussi relever qu’à l’occasion des Assises de l’économie de la mer, le plus important rendez-vous annuel du monde maritime français, Rodolphe Saadé, PDG du Groupe CMA CGM, a annoncé plusieurs mesures visant à soutenir la filière maritime française. Ainsi, 200 millions d’euros seront investis afin d’accélérer la décarbonation de la filière maritime française. Ils seront prélevés sur le Fonds Énergies, doté de 1,5 milliard d’euros sur cinq ans, et qui vise à soutenir la production industrielle de nouvelles énergies décarbonées, et le développement de solutions de sobriété et d’efficacité énergétique dans toutes les activités du Groupe. Une plateforme d’appel à projets sera lancée en janvier 2023 pour soutenir des initiatives pour accélérer la transition énergétique de la filière maritime et portuaire française, tous secteurs confondus

Actuellement, les technologies « propres » ne sont pas encore économiquement compétitives dans le domaine du transport maritime. Les implications techniques sur les bateaux et les infrastructures représentent en effet un défi de taille. Les carburants liquides traditionnels (brut et GNL) prennent peu de place, sont faciles à livrer et à stocker et bénéficient d’une vaste infrastructure de distribution. C’est, selon l’OCDE, la raison pour laquelle ils restent si répandus. Il faut donc préparer des terminaux pour stocker l’hydrogène et ses dérivés.

Toutefois, la législation évolue dans le bon sens. Ainsi, le branchement électrique des navires à quai, qui permet la mise à l’arrêt des moteurs auxiliaires, sera imposé dans toute l’Union européenne d’ici à 2025. Ce sera notamment une opportunité de développer des groupes électrogènes à hydrogène. Le règlement européen FuelEU Maritime, en fixant une trajectoire de diminution des émissions de gaz à effet de serre pour les flottes de navires, devrait également constituer un puissant levier incitatif. Celui-ci serait d’autant plus renforcé si un quota d’utilisation de carburants de synthèse (incluant l’hydrogène) est également imposé, comme proposé par le Parlement européen dans son rapport adopté le 19 octobre 2022.

(avec Le Monde)