Alors que la directive sur les énergies renouvelables (RED3), qui fixe des objectifs d’utilisation d’hydrogène renouvelable dans l’industrie et les transports, entre dans le dernier round de négociations entre les législateurs européens, la France pousse pour une prise en compte de l’hydrogène bas-carbone, plaidant pour la possibilité de recourir au nucléaire et à la biomasse.

Jusqu’à présent, la France semblait isolée sur la scène européenne. On se souvient que la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait écrit à la Commission pour lui demander d’introduire l’hydrogène issu du nucléaire dans la stratégie hydrogène de l’Union. La question de l’atome est un point de friction avec certains pays, et en particulier l’Allemagne. Mais Paris et Berlin semblent avoir mis de côté leurs divergences, concernant en tout cas la réglementation sur l’hydrogène renouvelable et bas-carbone.

Dans un communiqué commun, en date du 25 novembre, les deux parties « s’engagent à respecter les choix technologiques de chaque pays en matière de mix électrique » et à trouver « ensemble une solution sur la manière de refléter cette compréhension commune dans les dossiers législatifs en cours, y compris dans le paquet gaz [et hydrogène] ». Cela en référence à un compromis évoqué par la présidence tchèque du Conseil de l’UE, qui prévoit la « possibilité d’utiliser de l’hydrogène et des carburants bas-carbone dans les objectifs de décarbonation », c’est-à-dire l’atteinte des cibles d’utilisation de carburants renouvelables d’origine non-biologique (RFNBO – hydrogène renouvelable et ses dérivés). Traduisant ainsi le souhait de la France de compter l’hydrogène produit à partir du nucléaire dans ses objectifs climatiques, qui y voit « une avancée décisive ».

Le mois dernier, France Hydrogène a lancé un appel à la Commission Européenne avec le soutien d’une large coalition d’industriels, à travers les associations représentatives des secteurs concernés : CEFIC (chimie), Fertilizers Europe (engrais), EUROFER (sidérurgie), CERAME-UNIE (céramiques), et IFIEC (énergo-intensifs. « Compte tenu de l’ampleur du double défi de décarbonation et de sécurisation de l’approvisionnement énergétique à terme de l’UE, de la diversité des systèmes énergétiques au sein de l’UE, et du besoin crucial d’un approvisionnement très stable pour les industries basculant vers des procédés utilisant de l’hydrogène décarboné : l’hydrogène renouvelable et bas-carbone seront tous deux nécessaires pour atteindre nos objectifs climatiques d’ici 2030, et la neutralité carbone de l’Union d’ici 2050 », écrit France Hydrogène.

La coalition appelle ainsi le Conseil de l’Union européenne à adopter la proposition faite par la présidence tchèque le 23 novembre dans son nouveau compromis (REV2) à la Directive Hydrogène et Gaz 2021/0425 (COD), qui ajoute un article 8a ouvrant aux Etats membres la possibilité optionnelle de comptabiliser « l’hydrogène bas-carbone et les carburants bas-carbone dans les objectifs de décarbonation ». « Pour donner une trajectoire réaliste, il apparaît aujourd’hui impératif d’ouvrir le périmètre des quotas d’utilisation d’hydrogène dans l’industrie et les transports, à l’ensemble des modes de production d’hydrogène propre, et non uniquement aux RFNBOs (carburants renouvelables d’origine non biologique) », peut-on lire dans cet appel. « Grâce à un réseau électrique déjà décarboné reposant sur une combinaison de renouvelables et de nucléaire, des projets massifs d’électrolyse peuvent d’ores-et-déjà être lancés, offrant une rampe de lancement décisive qui bénéficiera à l’ensemble de la chaîne de valeur européenne. Cette proposition doit aussi permettre de reconnaître à sa juste valeur l’hydrogène renouvelable non-électrolytique, particulièrement celui produit par pyrogazéification ou thermolyse de biomasse durable. Enfin, et surtout, alors que c’est la survie même de l’industrie lourde (et de première nécessité) du continent qui est en jeu aujourd’hui, survie intrinsèquement liée à sa décarbonation, exploiter la complémentarité forte entre l’hydrogène renouvelable et bas-carbone sera décisif pour réduire les coûts de cette transition et ne pas créer de nouvelles dépendances énergétiques et industrielles », a indiqué le Président de France Hydrogène, Philippe Boucly, suite à l’envoi du courrier.

Et qu’en disent les pétroliers ? Selon le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, voulue par Emmanuel Macron, ne suffira pas, si la France souhaite produire de l’hydrogène décarboné, c’est-à-dire de l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable ou nucléaire, sur son territoire. « Ce n’est pas nos six réacteurs ou dix réacteurs qu’il faut faire si on a l’ambition de faire de l’hydrogène décarboné en France, il faut en faire 15 ou 20 », a-t-il lancé devant les députés de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, réunis ce 23 novembre pour « établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Un ordre de grandeur, dont la fourchette basse correspond au plan de relance du nucléaire du gouvernement en comptant les 8 nouveaux EPR en option. Alors que l’électricité représente actuellement 25 % du mix énergétique de la France, cette part devrait passer à plus de 50 % à l’horizon 2050 afin de décarboner l’économie. Pour produire suffisamment d’hydrogène localement, « il faut ajouter 50 % de capacités [électriques] de plus, d’après les calculs qu’on a faits, à l’horizon 2050. C’est énorme », estime Patrick Pouyanné.

Pour sa part, Shell souhaite commencer à produire de l’hydrogène en utilisant l’énergie de petites centrales nucléaires. À cette fin, la société britannique a signé un accord avec NuScale Power, la seule société qui a reçu l’approbation aux États-Unis pour sa conception de petites centrales nucléaires. NuScale et Shell travailleront ensemble afin de déterminer si la production compétitive d’hydrogène est possible.