En principe, il ne faut plus utiliser de couleurs en raison de la taxonomie. Mais, à l’occasion de la dernière édition du salon Hyvolution, l’ADEME a publié un avis d’expert sur l’impact climatique de l’hydrogène « bleu ». Et l’agence pose la question : « Décarboner l’hydrogène en France : est-ce possible avec l’outil de production actuel ? ».

Alors que les annonces se multiplient dans l’hydrogène vert et que ce mode de production a les faveurs de l’Europe et de la France, l’ADEME rappelle que le principal mode de production actuel se fait à partir de gaz naturel. Et s’il est considéré comme « bas carbone », l’hydrogène bleu a, depuis mi-2021, fait l’objet de plusieurs publications* alertant sur le bilan complet des gaz à effet de serre, émis directement et indirectement par sa production. Il faut savoir par exemple que les émissions de méthane (qui se dégrade rapidement dans l’atmosphère) provoquent un effet de serre 30 fois plus puissant que le CO2 sur 100 ans… Cet avis de 22 pages vise à proposer une modélisation du bilan en termes de GES (basée sur différentes voies de production d’hydrogène bleu possibles en France) et de discuter de l’adéquation entre le développement de ce type d’installations et l’atteinte des objectifs de réduction des émissions.

En premier lieu, l’agence précise que le terme « hydrogène bleu » rassemble divers modes de production d’hydrogène à partir de gaz naturel, auxquels sont ajoutés une technologie de capture, plus ou moins partielle, du CO2 émis sur site, puis d’un stockage (ou, dans certaines définitions, d’une valorisation de ce CO2). Certains états misent sur ce mode de production, en particulier les Etats-Unis, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Russie… L’hydrogène bleu est aussi pris en compte par des organismes comme l’Agence Internationale de l’Energie, le Hydrogen Council ou encore l’initiative Gas for Climate qui pousse pour une dorsale en Europe.

Le problème est que la chaîne du gaz en France – importé principalement de Norvège et de Russie – se caractérise par des émissions fugitives (dues aux fuites et consommations d’énergies le long de la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel). Ces émissions sont faibles en Norvège, plus importantes en Russie (taux de 0,7 % en production et de 1,3 % en transmissions), et elles sont sans doute sous-estimées. Elles ont donc un impact sur la production d’hydrogène, dans la mesure où ces émissions ne pourront pas être captées sur site.

Pour cet avis, l’ADEME s’est ensuite basée sur deux technologies de captage : celle par absorption chimique et celle par cryogénie (utilisée par Air Liquide à Port-Jérôme). Et selon les solutions, l’hydrogène bleu excède le seuil d’émission des trois kilos de CO2 équivalent (éqCO2) par kilo d’hydrogène produit, proposé par la taxonomie européenne. Et il émet parfois bien plus. Ainsi, l’hydrogène produit par des vaporeformeurs de méthane (SMR) avec captage du CO2 en cryogénie en pré-combustion est à 6,3 kg. Le seuil retombe à 3,5 kg avec un captage aux amines en postcombustion. C’est toujours mieux que les 11,7 kg de vaporeformage sans capture du carbone (l’hydrogène gris).

L’agence estime que la meilleure solution est de combiner l’ATR (reformeur autothermique de méthane) à de la séquestration de carbone (CCS) aux amines. On descendrait alors sous les 3 kg. Ce serait une voie pour produire de l’hydrogène bas carbone, en alternative à l’électrolyse. Mais, le conflit en Ukraine vient rebattre les cartes. Il y a de fortes chances pour que l’on se reporte davantage sur les Etats-Unis, pour contourner le gaz russe. Mais une part non négligeable de gaz de schiste présent sur le sol américain augmenterait alors le bilan carbone. Pour l’ADEME, il faut avant tout privilégier les approvisionnements avec de faibles émissions fugitives et veiller également à limiter les fuites…. d’hydrogène. Le respect des 3 kg imposé par l’Europe passe par une réduction de 75 % des émissions sur l’ensemble du cycle de vie.

*dont une étude commandée par le gouvernement britannique, qui révélait que le pouvoir réchauffant de l’hydrogène serait 11 fois plus puissant que le CO2