En Europe, comme en Afrique et en Chine, les projets se multiplient pour transporter l’hydrogène des lieux de production jusqu’aux consommateurs.

Ce sont les Etats-Unis qui ont le plus gros réseau à ce jour. Selon le département de l’Energie, le pays dispose d’un réseau de 1 600 miles (2 500 km) qui permet de faire circuler l’hydrogène jusqu’aux raffineries de pétrole et les usines chimiques. Ces installations sont concentrées sur les cinq États (Texas, Louisiane, Mississippi, Alabama, Floride) encadrant le golfe du Mexique. Ce chiffre est à comparer aux 3 millions de miles du réseau de gazoducs.

La Chine ne mettra pas longtemps à rattraper les Américains. 1 000 km de pipelines hydrogène seraient en construction dans ce pays avec notamment un tuyau de 500 km en Mongolie intérieure, entre Wuhai et Huhehot qui entrera en service à la fin de l’année, le plus long du genre. Un autre pipeline de 400 km, reliant la Mongolie à Pékin, est en cours. Ces infrastructures permettent de réduire le coût par rapport à un transport par rail ou par camion. Un moyen de rendre l’hydrogène plus compétitif, tout en délivrant de grandes quantités. Le tout premier pipeline hydrogène avait été lancé l’an dernier par PetroChina.

L’Afrique est également concernée par des pipelines. Globalement, des liaisons existent entre le Maghreb et l’Europe pour le gaz naturel, tout comme entre l’Egypte et le Moyen-Orient. Parmi les projets ambitieux, on peut citer le pipeline Trans-Saharien de 4 128 km pour transporter du gaz entre le Nigeria et l’Algérie. Il existe aussi un gazoduc de 2 475 km entre l’Algérie et l’Italie. Récemment, un accord a été signé entre le groupe pétrolier ENI et Sonatrach prévoyant la production et l’export d’hydrogène renouvelable ou bas carbone vers l’Europe. Un nouveau gazoduc va être aménagé entre les deux pays, avec une capacité de 8 à 10 milliards de mètres cubes/an pour acheminer du gaz, de l’ammoniac et de l’hydrogène. Le projet Galsi, dont le coût s’élève à 2,5 milliards de dollars, s’étendra sur 837 km, dont 565 seront en offshore à travers la mer Méditerranée, et 272 à terre. On imagine bien aussi le Maroc se rapprocher de l’Espagne, très impliquée dans l’export d’hydrogène renouvelable à travers le projet HyDeal. Le Maroc pourrait même servir de porte d’entrée pour la Mauritanie, lancée dans la production massive d’hydrogène renouvelable.

En Europe, plusieurs projets sont identifiés. En premier lieu, le projet H2Med qui vise à créer un corridor énergétique vert reliant le Portugal, l’Espagne et la France au réseau énergétique de l’UE, prendra sa source à la connexion entre Celourico da Beira et Zamora entre le Portugal et l’Espagne pour le transport de gaz renouvelable. Il y aura également une liaison maritime reliant Barcelone à Marseille, puis une extension vers l’Allemagne. Le gestionnaire du réseau de transport de gaz espagnol Enagás, les gestionnaires de réseaux de transport de gaz français GRTgaz et Teréga et le gestionnaire du réseau de transport de gaz portugais REN en seront les maîtres d’œuvre. H2Med aura la capacité de transporter jusqu’à 2 millions de tonnes par an d’hydrogène renouvelable, représentant ainsi 10 % de la consommation prévue en Europe à cet horizon, selon REPowerEU.
Un autre projet de pipeline annoncé entre la Norvège et l’Allemagne, dans le cadre d’un accord entre Equinor et RWE, va d’abord convoyer du gaz norvégien, qui servira à produire de l’énergie électrique. Dans un second temps, ce tuyau servira à transporter de l’hydrogène. Equinor prévoit d’investir en Norvège dans un site de 2 GW, qui pourra monter jusqu’à 10 GW en 2038. Il s’agira d’hydrogène bas carbone, que RWE utilisera dans des centrales à gaz compatibles. De l’hydrogène généré à partir d’éoliennes pourrait aussi traverser ce tuyau.

Enfin, dans la région Grand Est, le projet mosaHYc (Moselle Sarre HYdrogène Conversion) entre la Moselle, la Sarre et le Luxembourg, porté par GRTgaz et CREOS, vise à aménager une infrastructure de transport d’hydrogène de 70 km, en adaptant des infrastructures gazières déjà existantes. Le projet RHYn (Rhine HYdrogen Network), d’autre part, toujours avec GRTGaz, a pour vocation de favoriser l’écosystème hydrogène du Rhin Supérieur. L’ambition est de connecter à horizon 2028 la zone de Dessenheim avec la zone industrielle de Chalampé-Ottmarsheim, ainsi que l’agglomération de Mulhouse pour ses besoins en termes de mobilité. Dans les phases suivantes, ce réseau pourra s’étendre au Sud vers Bâle afin de proposer une alimentation de la zone aéroportuaire et au Nord vers Marckolsheim pour desservir ses sites industriels. Sur une totalité de 100 km de réseau hydrogène, au moins 60 km proviendront de canalisations converties. La canalisation aura la capacité de transporter 125 000 tonnes d’hydrogène par an, soit l’équivalent de la production de 900 MW d’électrolyse. Au passage, le réseau pourrait permettre la réduction des émissions de carbone jusqu’à 1 million de tonnes de CO2 par an.

Plus globalement, une dorsale européenne se dessine. A travers l’initiative EHB (European Hydrogen Backbone), 12 gestionnaires de réseau de transport de gaz issus de 11 pays européens et réunis sous la forme d’un groupement, souhaitent créer un réseau de 39 700 km d’infrastructures hydrogène réunissant au total 21 pays. Les deux tiers du réseau s’appuieraient sur la reconversion de canalisations de gaz naturel existantes. C’est une vision à l’horizon 2040 qui fait suite au précédent rapport EHB publié en juillet 2020, qui a initié les échanges sur ce sujet en Europe. Ce rapport initial développait la vision d’un réseau de 23 000 km connectant dix pays européens et d’un coût total d’investissement estimé entre 43 et 81 milliards d’euros. Le transport d’hydrogène sur 1 000 km est évalué entre 0,11 et 0,21 euros par kg en moyenne, faisant de l’EHB une solution permettant de minimiser les coûts pour le transport d’hydrogène longue distance.

Selon ce schéma, 4 400 km de réseaux d’hydrogène seraient ainsi développés en France reliant les principales zones de consommations tels que les ports, zones industrielles, hubs logistiques et aéroportuaires ainsi que les stockages massifs souterrains. Cette infrastructure permettra ainsi aux consommateurs nationaux d’accéder de manière sûre et compétitive à l’hydrogène renouvelable et bas-carbone pour faciliter la décarbonation du transport et de l’industrie.

Il est à noter que la France peut jouer un rôle dans l’aménagement de ces pipelines au niveau européen. Au sein de GRTGaz, le RICE (research & innovation center for energy) est un laboratoire qui travaille notamment sur la sécurité et l’adaptation des réseaux de gaz à l’arrivée de l’hydrogène. Plus concrètement, à travers le projet de recherche FenHYx, qui concerne le site d’Alfortville, le labo RICE se concentre sur de nouvelles capacités d’essais en présence d’hydrogène sous pression dans différents domaines (impact sur les matériaux, résistance mécanique des aciers, étude des phénomènes de corrosion). Un autre projet, baptisé Pipelhyne (PIPELines for HYdrogen Networks) est mené avec Engie, Fluxys et National Grid et s’étalera jusqu’à 2028. Le premier programme visera à montrer l’effet bénéfique de l’oxygène en tant qu’inhibiteur de l’effet de l’hydrogène sur les aciers. Le second programme aura pour but de tester les 8 nuances de nouveaux aciers afin de caractériser leur comportement mécanique sous hydrogène. Le troisième programme visera à valider l’effet de l’oxygène sur toutes les autres nuances d’acier que celles testées dans le cadre du premier programme et également d’envisager un second inhibiteur qui, à ce stade, reste à définir.

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Méga alliance en Allemagne dans le transport d’hydrogène

Pas moins de 7 entreprises de la sidérurgie, des infrastructures et de l’énergie ont décidé de se regrouper pour organiser le transport de l’hydrogène dans le nord-ouest du pays. 

C’est un signe de plus que l’économie de l’hydrogène est en train de se structurer. L’Allemagne avance avec ce projet qui vise à faire de Wilhelmshaven, une ville portuaire de Basse-Saxe, le point d’entrée d’un réseau qui permettra d’acheminer de l’hydrogène dans les bassins industriels de ce même land et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. L’alliance comprend BP, Gasunie, Nowega, NWO, Salzgitter, Thyssengas et Uniper qui ont signé une lettre d’intention. A la base, BP et Uniper avaient des projets autour de Wilhelmshaven pour l’importation et la production d’hydrogène. Il est donc proposé que Gasunie*, Nowega, NWO et Thyssengas, qui disposent déjà de réseaux de transport de gaz et prévoient d’investir dans l’hydrogène, viennent se raccorder aux tuyaux en cours d’élaboration. Potentiellement, l’hydrogène pourrait être acheminé vers le sud jusqu’à Cologne (400 km), et vers l’est jusqu’à Halmbourg et la région de Hanovre. Dans cette dernière, le producteur d’acier Salzgitter y voit le moyen de bénéficier de ce gaz afin de décarboner son activité. Pour Thyssengas, « le seul moyen de déployer rapidement une infrastructure est de regrouper ses forces ». « Le réseau pourrait devenir une réalité en 2028, mais il faut un cadre réglementaire et très vite », souligne Thomas Gößmann, son président. L’alliance considère que ce projet est en mesure de répondre aux attentes du gouvernement allemand qui souhaite atteindre la neutralité en 2045.

*Le groupe construit le système Hyperlink, qui doit également relier l’Allemagne aux Pays-Bas et au Danemark