Au changement climatique et à ses conséquences violentes s’ajoute désormais une crise énergétique majeure résultant du retour d’une guerre sur le sol européen, provoquée par l’invasion russe en Ukraine.

L’impératif qui s’impose alors à la France et à l’Europe est d’accélérer pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.

L’ampleur de ce défi, et la vitesse -moins de trois décennies- à laquelle il doit être relevé, nous oblige, nous européens, collectivement. Il est urgent de ne plus opposer les diverses stratégies énergétiques nationales, mais au contraire de les envisager comme des réponses complémentaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Le développement de l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone doit être vecteur d’une décarbonation en profondeur de nombreux secteurs de l’économie – industrie et mobilités lourdes ou intensives – ainsi que d’une réindustrialisation des territoires, à l’échelle française comme européenne. Réponse à l’agression de l’Ukraine par la Russie, le Plan européen RePowerEU confirme cette dimension stratégique de l’hydrogène dans le renforcement de la souveraineté énergétique et industrielle de l’Union, en doublant les cibles d’utilisation d’hydrogène renouvelable d’ici 2030 : 20 mégatonnes (Mt), pour moitié produites au sein de l’Union, et pour moitié importée de pays tiers. Cette ambition devrait désormais se matérialiser notamment dans la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED III), avec l’établissement de cibles d’utilisation d’hydrogène renouvelable dans l’industrie et les transports d’ici 2030 -respectivement 50% et 5,7% dans le rapport adopté par le Parlement européen, et désormais discuté en trilogue. En ligne avec cette vision européenne, la France s’est dotée d’une ambitieuse Stratégie Nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné. Dotée d’un soutien de l’Etat de 9 milliards d’euros (1), cette Stratégie vise notamment à déployer une filière compétitive de l’électrolyse pour produire massivement, en France, l’hydrogène propre nécessaire à la décarbonation de notre industrie et de nos mobilités lourdes ou intensives. Dans ce cadre, l’Etat investit dans la construction d’usines de fabrication d’électrolyseurs de grandes capacités, tant afin de faire baisser les coûts des équipements que pour rendre l’Union autonome quant à l’approvisionnement en électrolyseurs.

L’autre grand défi, posé par la production par électrolyse d’hydrogène propre sur le territoire européen, est d’assurer un approvisionnement suffisant en électricité décarbonée. L’objectif de production domestique de 10Mt d’ici 2030, fixé par la Commission européenne dans son plan RePowerEU, représente un besoin en électricité renouvelable d’environ 550 TWh supplémentaires, ce qui est considérable. Dans ce cadre, il apparaît impératif de reconnaître le rôle de l’hydrogène bas-carbone, notamment produit à partir d’électricité nucléaire, aux côtés de l’hydrogène renouvelable, pour l’atteinte de nos objectifs de décarbonation. Le défi est trop important, et les systèmes énergétiques au sein de l’Union trop divers, pour se permettre de n’encourager qu’un type d’énergie primaire, uniquement renouvelable. Les énergies renouvelables seront le pilier de la décarbonation européenne, mais exclure aujourd’hui l’hydrogène bas-carbone des cibles d’utilisation d’hydrogène risque d’obérer la capacité de production domestique d’hydrogène propre et de conduire à un recours massif aux imports.

Or, dans un cadre géopolitique extrêmement mouvant, il apparaît primordial de sécuriser une part de production d’hydrogène en Europe afin de ne pas créer de nouvelles dépendances à d’autres pays dans ce domaine. Il s’agit également d’assurer la capacité d’approvisionnement des industries européennes utilisatrices d’hydrogène : il serait légitime que les régions disposant de fortes ressources renouvelables (notamment Afrique du Nord et Afrique subsaharienne) les utilisent en priorité pour développer et décarboner leur propre système énergétique, tendre vers l’accès universel à l’électricité, et développer leurs propres capacités industrielles.

L’approche équilibrée prise par la Commission européenne (10Mt domestique, 10Mt importées) nous apparaît, à ce titre, pertinente. Elle doit désormais concrétiser le volet de production domestique en s’ouvrant, d’une manière ou d’une autre, à l’hydrogène bas-carbone, comme explicitement mentionné dans RePowerEU. La production d’hydrogène via le mix nucléaire (69% en 2021) – renouvelables (23,6%) de la France est une opportunité pour renforcer dès aujourd’hui l’autonomie énergétique de l’Europe et éviter de reproduire des dépendances extérieures excessives. Il est impératif que l’hydrogène soit un moteur de souveraineté pour l’Union.

Si la France souhaite répondre à ses propres besoins en hydrogène décarboné avec une production nationale, cela ne signifie pas pour autant que la France se positionne pour une fermeture du territoire aux flux d’hydrogène qui seraient nécessaires à d’autres pays. Contrairement à ce qui a pu être présenté parfois, la stratégie française n’est pas insulaire, et ne se bâtit aucunement contre la vision et les besoins spécifiques d’autres Etats membres. Autonomie n’est pas synonyme d’autarcie.

En témoigne notamment l’engagement français dans le projet transfrontalier MosaHYc, qui doit permettre d’interconnecter des sites d’utilisation d’hydrogène situés en Allemagne (Sarre) et en France (Moselle) grâce à la reconversion de canalisations de gaz existantes. De même, dans le cas où seraient présentés des projets d’infrastructures hydrogène visant à connecter la péninsule ibérique (richement dotée en énergies renouvelables) et le Nord de l’Europe, particulièrement l’Allemagne, la filière française est disposée à étudier la viabilité de tels projets, et les manières de s’y impliquer. Cela nécessite bien évidemment l’établissement d’une vision de long terme, que nous appelons de nos vœux, avec des garanties sur les flux futurs tant de la part des producteurs (ibériques ou nord africains) que des grands consommateurs industriels finaux (principalement d’Allemagne). Cette connexion de la péninsule ibérique au Nord de l’Europe est un levier de cohésion européenne pour l’atteinte de nos objectifs collectifs de décarbonation, et nous ne pouvons qu’y souscrire, si cela sert bien à transporter de l’hydrogène et non des hydrocarbures, et ne sert pas de simple transit. Si la réflexion sur la construction d’une telle infrastructure de transport doit commencer immédiatement, il apparaît néanmoins décisif de garder à l’esprit que de telles infrastructures participant à la construction d’une dorsale européenne, très lourdes en investissement, ne monteront véritablement en charge qu’au cours de la décennie 2030 : même en planifiant le déploiement de ces actifs stratégiques pour interconnecter les pays européens, la structuration d’écosystèmes locaux de production et consommation d’hydrogène décarboné reste un modèle incontournable pour atteindre nos objectifs climatiques d’ici 2030. C’est par ailleurs ce modèle qui permettra de poser les premières pierres d’une infrastructure hydrogène européenne, d’abord en réalisant les infrastructures pour transporter l’hydrogène à l’intérieur de ces écosystèmes locaux, puis de relier les hubs industriels entre eux.

Tout comme pour l’ensemble des solutions de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles, le déploiement de l’hydrogène est un défi aux ordres de grandeur colossaux, mais qu’il faut impérativement atteindre. A ce titre, opposer au sein de l’Union européenne les différentes stratégies hydrogène nationales, qui sont basées sur des systèmes énergétiques différents, ne fait pas sens. L’ensemble des leviers disponibles doit être mobilisé. La filière hydrogène française appelle à ce que la législation européenne permette réellement de reconnaitre l’hydrogène bas-carbone – notamment produit à partir d’énergie nucléaire – comme un moyen indispensable, et complémentaire, de l’hydrogène renouvelable – pour décarboner l’économie européenne. Elle appelle également à établir dans les meilleurs délais un plan concret de connexion hydrogène entre le Sud et le Nord de l’Europe (qui ne vienne pas justifier l’investissement dans de nouveaux actifs gaziers carbonés).

C’est à ces deux conditions que l’hydrogène pourra réellement devenir le moteur de souveraineté et de cohésion européenne que nous appelons de nos vœux.


(1) Stratégie Nationale Hydrogène dotée d’un soutien de 7,2 milliards d’euros renforcée par 1,9 milliards dans le cadre du Plan France 2030.