Convaincu du rôle central de l’offshore pour massifier la production d’hydrogène renouvelable, Lhyfe a inauguré en septembre à Saint-Nazaire le premier site pilote de production du genre dans le monde. Zoom sur l’éolien offshore avec les engagements de Qair et de la région Bretagne.
Crédit photo : FLOATGEN (BW Ideol), ©Centrale Nantes

En septembre 2021, Lhyfe inaugurait à Bouin (Vendée) un site de production d’hydrogène renouvelable, à partir d’éoliennes à terre. Cette fois, le projet Sealhyfe, inauguré en septembre dernier, ambitionne de produire de l’hydrogène directement en mer, dans un environnement salin et hostile. L’entreprise a volontairement placé la barre haute en installant son unité de production sur une plateforme flottante, connectée à une éolienne flottante se situant à 20 km des côtes, au large du Croisic. La société nantaise utilise le site d’essais SEM-REV (qui dépend de l’Ecole Centrale de Nantes), 1er site européen d’essais en mer multi-technologies connecté au réseau. La plateforme pourra produire 400 kilos d’hydrogène par jour, soit autant que le site de production en Vendée et ses 8 éoliennes.

Inauguration de Sealhyfe à saint-nazaire le 22 septembre

Pour ce projet, Lhyfe collabore avec les Chantiers de l’Atlantique, et plus précisément sa Business Unit Energie Marine et Ingénierie (BUEMI), qui a développé une expertise reconnue dans le domaine des énergies marines renouvelables. Le groupe travaille depuis 3 ans sur la production d’hydrogène offshore notamment, afin de réduire l’empreinte environnementale des sous-stations électriques conçues et fabriquées à Saint-Nazaire. Une première phase de tests de 6 mois vient de démarrer à quai, dans le port et permettra d’obtenir de premières mesures de références et de tester l’ensemble des équipements (systèmes de désalinisation, refroidissement, comportement du stack, contrôle à distance, gestion de l’énergie, résistance aux conditions environnementales, etc.).

Il est à noter que le coup d’envoi de cette grande première se déroulait le jour de la visite du Président Macron, le 22 septembre. Le chef de l’Etat inaugurait le premier parc éolien en mer français, à Saint-Nazaire, rappelant à cette occasion que l’éolien en mer sera développé pour viser environ 40 GW en service pour 2050. A cet horizon, une cinquantaine de parcs éoliens au large des côtes françaises sera déployé. Dans son discours, Emmanuel Macron a mentionné Lhyfe, qualifiant l’entreprise de « champion français » produisant de l’hydrogène renouvelable à partir d’éoliennes, par électrolyse.

A l’issue de cette première étape à terre, la plateforme Sealhyfe partira pour une période de 12 mois au large de la côte Atlantique. Elle sera alors installée à moins de 1 km de l’éolienne flottante, fixée au sol par un système d’ancres et raccordée au hub sous-marin du site, grâce à un ombilical conçu et dédié pour cette application (transfert d’énergie et de données). L’unité de production a été installée sur la plateforme houlomotrice WAVEGEM développée par Geps Techno, avec l’appui d’Eiffage Energie Systèmes et de Kraken Subsea Solutions. Elle s’appuie également sur un électrolyseur, fourni par Plug Power, l’un des leaders du marché (très engagé sur la voie de l’offshore), et optimisé pour une éolienne flottante.

Les défis sont multiples. En premier lieu, il s’agit de convertir la tension électrique provenant de l’éolienne flottante, pomper l’eau de mer, la désaliniser et la purifier, avant de pouvoir casser la molécule d’eau par électrolyse et obtenir de l’hydrogène renouvelable. La plateforme devra fonctionner de façon totalement automatique, sans intervention physique d’un opérateur (hormis pour les périodes de maintenance planifiée). Mais il faut aussi tenir compte des mouvements de balancier, de la corrosion, des chocs, et des variations de température, autant de facteurs susceptibles de provoquer un vieillissement prématuré de ses pièces.  

Au terme de cette expérimentation, Lhyfe disposera d’une somme de données considérable, qui devraient lui permettre de concevoir des systèmes de production en mer matures, et de déployer des technologies robustes et éprouvées à grande échelle (l’objectif est d’atteindre plusieurs centaines de MW en 2024). C’est d’ailleurs tout l’objectif du partenariat entre Lhyfe et Chantiers de l’Atlantique. Ils entendent collaborer dans le cadre de projets de production offshore d’hydrogène renouvelable, sur des parcs éoliens raccordés ou non au réseau électrique. Chantiers de l’Atlantique concevra, construira et installera les plateformes, tandis que Lhyfe se chargera de concevoir et opérer les sites de production d’hydrogène renouvelable. Cet accord vise non seulement le développement de la filière hydrogène renouvelable en mer, mais aussi dans les zones portuaires. Pour les projets offshore, les deux partenaires prévoient de développer des solutions de production d’une puissance d’au moins 100 MW, qui seront installées sur des structure fixes existantes, ou sur des fondations de type posées ou flottantes. A ce jour, Lhyfe est impliqué dans plusieurs projets du genre en Europe. Le dernier en date est aux Pays-Bas, où la société développera une usine de 200 MW à Delfzijl, dans la province de Groningue. Ce site dispose d’un accès direct aux énergies renouvelables grâce à ses parcs éoliens offshore situés au large de la côte. L’hydrogène renouvelable produit alimentera un important cluster industriel et chimique.

Le groupe Qair, producteur indépendant d’électricité renouvelable, est un autre pionnier de l’éolien en mer. Lauréat avec TotalEnergies de l’appel à projets « Fermes pilotes éoliennes flottantes » de l’ADEME pour son parc éolien flottant EolMed situé en Méditerranée, il a également été présélectionné par la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC), avec TotalEnergies et Corio Generation, pour participer à l’appel d’offres concernant la construction de deux parcs éoliens flottants en Méditerranée. Ces deux projets, d’une puissance d’environ 250 MW chacun, pourraient fournir suffisamment d’énergie pour couvrir la consommation annuelle d’électricité de près d’un million d’habitants. Le groupe est par ailleurs l’opérateur de la première éolienne offshore française au large du Croisic (voir précédemment), et impliqué dans un projet ambitieux d’éolien flottant au large de Port-la-Nouvelle (Aude). Ce projet s’inscrit au cœur de la stratégie du développement maritime de la Région Occitanie, et témoigne de l’ambition du groupe de devenir un acteur majeur dans l’éolien flottant en Méditerranée. A l’international, Qair vient de décrocher un marché à l’est de l’Ecosse, avec une éolienne posée et une autre flottante.

« L’énergie éolienne en mer a beaucoup d’avantages, car il y a plus de vent qu’à terre. On peut arriver à 5 000 heures nominales, au lieu de 3 500 en moyenne pour un parc classique », explique Jérôme Billerey, Directeur Général de Qair France. « De plus, la production est en adéquation avec les besoins car il y a plus de vent en hiver. D’autre part, l’éolien est disponible jour et nuit », précise-t-il. Toutefois, se pose la question de la production d’hydrogène directement en mer, environnement dans lequel il est « compliqué de faire fonctionner des usines (…) en raison de l’humidité et des tempêtes ». Si le DG de Qair France indique qu’il est « plus efficace de faire transiter du gaz par un pipeline plutôt que des électrons par un câble », il souligne néanmoins que la solution d’électrolyse en mer présente « un surcoût » car l’éolienne est déjà reliée au réseau électrique pour pouvoir fonctionner. Ainsi, Qair entend également produire de l’hydrogène renouvelable à Port-la-Nouvelle (1 à 15 tonnes par jour), mais à terre et avec l’électricité générée par les éoliennes off-shore. Le site sera un hub, avec un hydrogène destiné à une utilisation dans le domaine des transports, des activités portuaires et industrielles.

En Bretagne, on s’intéresse aussi bien sûr à l’éolien en mer. « C’est un territoire riche en vent et en marées », souligne Daniel Cueff, Vice-Président de la région Bretagne. Alors que le parc éolien de Saint-Brieuc doit délivrer ses premiers électrons en 2023, le prochain grand projet concerne le parc éolien flottant Bretagne Sud au large du Morbihan. L’État a donné son feu vert en mai dernier au projet de 250 MW, positionné à 15 kilomètres à l’ouest de la côte sauvage de Belle Île et 20 km de Groix. Dix consortiums ont été présélectionnés pour participer à l’appel d’offres et le cahier des charges devrait sortir en novembre pour une attribution en février 2023. « Le projet porte sur 20 éoliennes pouvant fournir de l’énergie pour 450 000 habitants », explique l’élu. Et si le premier débouché est l’électricité, « l’hydrogène fait partie des solutions potentielles », indique-t-il.

Chef de projet au sein du cluster Smile, qui couvre les smart grids et les énergies renouvelables, Maximilien Le Menn estime que « l’éolien off-shore a un potentiel énorme ». Et dans la feuille de route hydrogène de la région Bretagne, il est bien fait référence à ce type de production. Le document fixe « l’objectif d’un démonstrateur de production d’hydrogène offshore pour 2025 pour permettre à la filière d’être au rendez-vous des enjeux de productions industrielles d’hydrogène offshore des futurs parcs éoliens en mer, aux horizons 2040 et 2050 ». Et il verra le jour à Brest. Pour avancer, la région a mis en place un groupe de travail depuis un an et demi, baptisé Bretagne Ocean Power, un collectif dédié aux énergies marines de la région Bretagne, et rejoint notamment par le groupe Qair afin de contribuer au travail sur le déploiement des filières de l’éolien flottant, de l’hydrogène et de l’hydrolien. D’autres acteurs comme Total Quadran en font également partie. « Il s’agit d’anticiper un cadre national de production d’hydrogène à partir d’éoliennes off-shore que l’Etat n’a pas prévu », explique M. Le Menn. Pour faire bouger les lignes, les régions maritimes font du lobbying et c’est pour cette raison que la Bretagne a décidé de réaliser avec les Pays de la Loire de mener une étude prospective sur le sujet. « C’est une opportunité économique », déclare encore le chef de projet, soulignant que la Bretagne, « qui est propriétaire de ses ports », voit dans l’éolien en mer un moyen de maîtriser la chaîne de valeur « du producteur au consommateur ».

Matthieu Guesné, le PDG de Lhyfe, est persuadé pour sa part que l’éolien en mer, c’est l’avenir. « Le gisement de l’éolien en mer permettrait de décarboner jusqu’à 75 % des activités de la population mondiale », peut-on lire dans l’article consacré au projet Sealhyfe sur le site du Gouvernement.