Dans cette interview, Ludovic Barbès met en lumière l'innovation d'HYCCO sur un composant clé pour les piles à combustible. Les plaques bipolaires en fibre de carbone développées par la jeune entreprise, sont destinées à optimiser les systèmes notamment en réduisant leur poids. Le co-fondateur d’HYCCO revient sur la génèse de l’entreprise, son innovation et les enjeux pour passer à l’échelle industrielle.

1. Comment êtes-vous venu à l’hydrogène et en quoi votre approche constitue une innovation technologique ?

[Ludovic Barbès ] HYCCO a été fondé en 2019 par Romain Di Costanzo, Alain Fontaine et moi-même,  ingénieurs de formation initiale, nous avons évolué dans des domaines et des orientations différentes mais avions, tous trois, à cœur de mettre notre énergie au service de la lutte contre le réchauffement climatique. L’idée d’une plaque bipolaire en fibre de carbone vient de Romain qui, en 2017, suite à une expérience d’expatriation à Vancouver au Canada, berceau de la pile à combustible, cherchait des solutions pour contribuer à viabiliser les systèmes hydrogène. Après une incubation à l’IMT Mines d’Albi et une Bourse Deeptech de la BPI, nous avons remporté le concours i-Nov de l’ADEME qui, adossé à une levée de fonds en financement participatif et le soutien de la région Occitanie, nous a permis de monter une équipe et une ligne de production prototype.

Nous sommes convaincus que l’Hydrogène est une brique indispensable de la transition énergétique. Elle répond à tout un pan des besoins professionnels et intensifs qu’aucun autre vecteur décarboné ne peut adresser. Ce vecteur incontournable permet le stockage dans la durée et en quantité de l’énergie. Pour cette raison il est le chainon manquant qui permettra de développer massivement les énergies renouvelables, que ce soit dans une approche délocalisée ou sous forme de hubs. De plus, les systèmes hydrogène, contrairement aux système à batterie li-ion, mobilisent peu de ressources minières et notamment les terres rares. D’ici 2050, nous avons pour ambition de devenir le « HYCCO Inside » de l’hydrogène en voyant nos plaques bipolaires intégrer une majorité de systèmes piles à combustible.

Notre innovation réside ainsi dans un matériau composite de nouvelle génération. C’est un matériau composé de fibre de carbone et de thermoplastiques, choisis spécifiquement pour leur recyclabilité. Jusqu’à présent les composites à base de fibre de carbone étaient utilisés principalement pour leurs propriétés mécaniques. Alors que pour la plaque bipolaire, à la manière du graphite, nous utilisons avant tout les propriétés conductrices du carbone qui, combinées aux propriétés d’étanchéité et de durabilité des thermoplastiques, confèrent à nos plaques bipolaires leur stabilité chimique, leur finesse et leur légèreté. En effet, jusqu’à présent les plaques bipolaires étaient soit durables (à base de graphite) soit légères et peu encombrantes (acier inox, titane). Notre matériau permet d’allier le meilleur des 2 mondes et de répondre aux besoins de la mobilité lourde qui est là où l’hydrogène est le plus pertinent. Au-delà de cette supériorité technologique, notre matériau est qualifié pour les piles de type PEM Haute Température. C’est-à-dire fonctionnant autour de 180°C. A cette température le choix des matériaux qualifiés est extrêmement réduit et il n’y a pas de technologie compétitive. Or, grâce à l’arrivée sur le marché de MEA adaptées à ces températures, cela ouvre la voie à des systèmes piles à combustible bien moins encombrants et surtout plus légers.

2. Pouvez-vous nous partager quelques exemples spécifiques de projets en cours ou des collaborations récentes qui ont été particulièrement significatives pour Hycco, et comment ces initiatives s’inscrivent-elles dans vos ambitions de développement à court et moyen terme ?

[LB] Dans le cadre d’un partenariat financé par les régions Occitanie et Nouvelle Aquitaine, en collaboration avec Delair (fabricant de drones de surveillance longue portée), Pragma Industrie (fabricant de piles à combustible de petite puissance) et Isae supaero (pour la partie aero) nous avons remplacé les plaques en graphite usiné de la pile à combustible de Pragma. Cela a permis de diviser par 2 le poids du stack rendant ainsi la pile « avionable ».

Actuellement nous sommes en train de développer un démonstrateur de pile à combustible dédié à la mobilité lourde en partenariat avec Hynology, fabricant français de MEA, et une entreprise canadienne. L’objectif est de démontrer que nos produits permettent d’atteindre une densité de puissance bien supérieure aux produits du marché et qu’ils répondent aux besoins de ces usages.

Récemment, nous avons aussi remporté le grand prix de la recherche partenariale avec les laboratoires de recherche de l’IMT Mines Albi dans le cadre d’une thèse sur nos matériaux. Cela met en lumière la dynamique de notre processus d’innovation. Par ailleurs, nous avons conclus plusieurs accords partenariaux avec des grands fabricants de matière première afin d’aller plus loin dans le développement de ces matériaux de nouvelle génération.

Concernant nos ambitions ; en 2024 nous avons fait près de 500 000 € de chiffres d’affaires. C’est 2 fois plus qu’en 2023 et nous comptons doubler ce chiffre en 2025. Cette progression est possible grâce à la position de référence que nous avons gagnée dans la connaissance du cœur de pile. Ainsi, jusqu’à présent notre activité est principalement celle d’un cabinet d’ingénierie qui répond aux besoins de maturation des technologies hydrogène. Nos ateliers de fabrication permettent de prototyper des composants et des stacks pour des projets de développement. Mais ils permettent aussi de fabriquer les premières petites séries pour les produits qui arrivent en phase commerciale. De fait, nous sommes en pleine phase d’amorçage industriel. Dans cette dynamique, nous comptons progressivement augmenter nos volumes de production pour déployer une ligne de production pilote d’ici 2027 afin répondre aux besoins de la prochaine génération de pile à combustibles.

3. Avec un objectif de production de 165 000 plaques d’ici 2028, comment envisagez-vous de passer à l’échelle industrielle ?

[LB] A ce jour nous avons une capacité de production d’environ 10 000 pièces par an grâce à notre ligne de production « prototype ». Nous amorçons ainsi un cycle de montée en maturité industrielle. Il s’agit de sécuriser et de stabiliser nos chaines d’approvisionnement, d’améliorer la répétabilité de nos procédés de fabrication et de réduire les temps de cycles. Le retour d’expérience en service de cette ligne nous permet d’alimenter le cahier des charges de la ligne pilote sur laquelle nous travaillons déjà depuis plusieurs mois. Nous avons mené des études technico-économiques puis des essais de faisabilité pour valider les principales étapes de fabrication. Le concept de ligne est déjà très avancé. Il permettra de délivrer 165 000 pièces par an.

Un des grands avantages de notre technologie est qu’elle est particulièrement adaptée à la production industrielle. En effet les matières premières et les procédés utilisés permettent la fabrication des plaques bipolaires sur des lignes de production en continu. Nous amorçons donc en parallèle des études plus avancées sur le développement de ces procédés de fabrication avec pour objectif de déployer des lignes continues à partir de 2030.

4. Vous avez lancé un démonstrateur de 60 kW en décembre 2024 pour tester vos composants dans des piles à hydrogène industrielles. Quelles en sont les conclusions ?

Notre plateforme de test est basée sur un design de stack haute performance. Nous avons pu démontrer dès les premiers essais que nos composants permettent d’atteindre une densité énergétique supérieure aux autres produits du marché et que notre matériau a atteint un niveau de maturité suffisant pour être intégré des produits commerciaux. Les premiers retours des industriels, qui sont des fabricants de pile à combustible, sont très enthousiastes. Cette plateforme leur permet d’interfacer directement notre plaque bipolaire avec leur MEA pour en évaluer la performance. Leurs retours sont précieux tant sur les protocoles de tests qu’ils utilisent que sur les niveaux d’exigence pour chacun paramètres (taux de fuite, perméabilité, géométries, conductivité,…). En effet, les besoins peuvent beaucoup varier d’une application à une autre, d’un fabricant à un autre. A ce stade nous sommes en train de converger sur les montages et la mise en œuvre des essais. Mais déjà nous savons que nous sommes au niveau de l’état de l’art de la plaque bipolaire.

Un des principaux enjeux est de continuer à réduire les épaisseurs pour continuer à gagner en densité de puissance. Nous avons l’habitude de dire que nous sommes formulateurs de matériaux. De ce cas, notre métier se révèle particulièrement car nous allons définir notre roadmap R&D des années à venir pour venir optimiser les caractéristiques les plus attendues, comme celle-ci, qui va permettre d’optimiser le poids tout en préservant la durabilité, l’étanchéité ou la recyclabilité.

5. Comment prévoyez-vous de soutenir vos projets futurs ?

[LB] La période est difficile du côté des levées de fonds en ce moment et n’a pas tendance à s’améliorer. La transition énergétique n’a pas le vent en poupe en Amérique du nord. L’Europe maintien juste ses investissements. Les défaillances d’entreprises dans le secteur hydrogène sont nombreuses et mettent en lumière une rationalisation du secteur. Nous nous tournons donc vers les marchés asiatiques qui sont plus avancés et les seuls aujourd’hui à pouvoir proposer une progression à moyen terme et qui continuent à avoir des politiques incitatives.

Notre première source de financement est notre chiffre d’affaires. Néanmoins, nous comptons sur la validation technologique de grands industriels qui sont les seuls à pouvoir endosser ce type de position sur des sujets aussi pointus. Certains sont déjà convaincus, notamment dans le domaine de l’aéronautique, et d’autres sont en cours d’évaluation dans le domaine de la mobilité lourde terrestre. Cette étape est nécessaire pour que des investisseurs financiers puissent ensuite se saisir du dossier et s’avancer sur une prise de capital. A ce jour nous avons sécurisé une bonne partie des financements publics pour réaliser nos projets sur les 3 ans à venir. Nous voulons réunir 5 Millions d’euros de fonds privés pour compléter le tour et passer à l’étape suivante. Il reste quelques places à prendre. Si vous voulez nous rencontrer, nous serons présents sur le stand de Safran Corporate Venture lors du Global Summit de Hello Tomorrow qui aura lieu les 13 et 14 Mars au CENTQUATRE-PARIS 19ème.