À l'occasion de sa conférence annuelle, le 7 décembre, l'association a tiré un bilan de l'année écoulée. Au niveau européen et national, 2023 a été marquée par de nombreuses avancées. Mais, elle a aussi exprimé quelques regrets. Les deux sujets qui se dégageaient le plus étaient la prise en compte de la mobilité intensive et le prix de l’électricité pour que l’hydrogène soit compétitif.

En préambule, le Président Philippe Boucly a excusé la ministre de la Transition Energétique, initialement prévue. « Nous espérions accueillir Agnès Pannier-Runacher pour annoncer la révision de la stratégie nationale, mais elle a préféré venir à l’inauguration de la giga factory de Symbio ». Et l’on verra plus tard que son intervention n’a pas levé certaines inquiétudes. M. Boucly a ensuite passé en revue l’année écoulée. « 2023 a été très riche, avec un feu d’artifice d’annonces de la part de l’Europe », a-t-il déclaré. Il a évoqué entre autres, la directive sur les carburants renouvelables, celle sur les stations (AFIR), ou encore l’accord sur les SAF dans l’aviation. Autre satisfaction : la reconnaissance sur l’électricité nucléaire pour la production de l’hydrogène décarboné. « Mais ce n’est pas encore gagné », a-t-il prévenu, en prenant pour exemple la banque de l’hydrogène qui soutient l’hydrogène renouvelable, mais pas celui bas carbone.

Le volet européen a été abordé plus longuement par Sopna Sury, la Présidente de Hydrogen Europe. Elle a déclaré qu’on vivait « une période vibrante et intense avec notamment le Green Deal, qui fixe des objectifs contraignants pour l’hydrogène vert » (42 % en 2030, 60 % en 2035). Sopna Sury a évoqué « un signal clair pour l’industrie », mais aussi pour les fournisseurs de carburants qui vont alimenter les secteurs de l’aviation et du transport maritime avec de l’hydrogène renouvelable et ses dérivés. Ensuite, la Présidente d’Hydrogen Europe a indiqué que les paquets gaz et hydrogène seraient bientôt finalisés. L’autre grande avancée concerne le déploiement des infrastructures, avec les fameux pipelines (dont celui de H2Med) qui vont permettre de relier les producteurs aux consommateurs. Mais, en tant que Présidente de l’association, et dans le cadre de ses activités, Mme Sury constate que les projets ne se concrétisent pas toujours en termes de décision finale d’investissement. L’une des raisons est le coût élevé des énergies renouvelables. Pour autant, elle a salué des projets qui vont aboutir, comme pour ArcelorMittal à Dunkerque avec le soutien du gouvernement français. Sopna Sury a évidemment fait référence aux annonces d’Ursula von der Leyen, lors de la European Hydrogen Week, à propos de la banque de l’hydrogène. « Il faut faire la preuve que c’est un instrument efficace, à travers les premières enchères de 800 millions ». Mme Sury recommande aussi aux gouvernements nationaux de lancer un système d’enchères pour aider des projets locaux.

Plusieurs réserves exprimées en introduction

Pour en revenir à la France, Philippe Boucly est également revenu sur des avancées en France, avec les inaugurations et poses de première pierre (notamment chez Gen-Hy, Hysetco pour la plus grosse station d’Europe et le projet Hyport sur l’aéroport de Toulouse-Blagnac). Il a aussi évoqué l’élargissement du rétrofit du moteur à combustion, et surtout le mécanisme de soutien à la production d’hydrogène bas carbone avec ses 4 milliards. Le Président de France Hydrogène a émis au passage des remarques sur les critères d’éligibilité. Il se félicite également du texte sur la stratégie énergie climat, qui accorde une place à l’hydrogène. Du côté de l’association, il a rappelé la publication de plusieurs études (dont celle liée au projet Def’Hy sur l’emploi). Bilan donc, une année particulièrement riche, « mais il y a plusieurs mais » a dit M. Boucly. Il a relevé un faible nombre de décisions finales d’investissement, ce qui explique qu’il n’y ait que l’équivalent de capacités de 300 MW en cours, alors que 6,5 GW sont attendus en 2030. « Il n’y a pas de visibilité sur l’électricité, et aussi une absence de soutien sur la mobilité », a-t-il souligné. « Or, à quoi cela sert de soutenir une gigafactory comme celle de Symbio, si on n’agit pas sur la demande en utilitaires ? » s’est-il interrogé. « On entend aussi des interrogations sur la mobilité et on entend dire que les batteries feront le job, mais on peut avoir de très gros doutes », a-t-il encore déclaré. C’est l’un des « angles morts » de la stratégie nationale que l’association pointe.

Mobilité hydrogène : l’urgence de se faire entendre

La priorité affichée par le gouvernement pour l’industrie suscite l’inquiétude des acteurs impliqués dans la mobilité. Ce thème a été traité notamment par Jean-Luc Brossard, Président du CCFA et expert du véhicule bas carbone à la PFA. Il a expliqué que les cas d’usage concernent les flottes captives avec les véhicules utilitaires, les taxis et les camions pour le transport longue distance. Dès aujourd’hui, on peut voir des taxis immatriculés au sein des flottes Hype et Hysetco. S’agissant des utilitaires, il se trouve que les deux constructeurs français sont présents sur ce segment, avec Renault (Hyvia) et Stellantis. Ces véhicules sont produits en France. Il y a tout un écosystème dans l’hexagone au niveau des piles avec Symbio et des réservoirs avec Forvia et Plastic Omnium. « Mais, pour passer à l’échelle, il faut une aide publique », estime M. Brossard. Selon lui, le gouvernement devrait aider le véhicule à l’hydrogène comme il l’a fait à partir de 2010 pour le véhicule à batterie. « Il faudra au moins 5 ans pour arriver à être compétitif », a souligné l’expert de la PFA. Et de poursuivre : « c’est important de soutenir cet écosystème français de l’hydrogène, car il crée des emplois ». Pour Jean-Luc Brossard, il est important de jouer sur les volumes. Mais il est important aussi qu’il y ait une visibilité sur le prix de l’hydrogène avec un bouclier tarifaire. Il se pose aussi la question des stations. « C’est une question de volonté », a insisté l’expert de la PFA. « Et cela permettra de rassurer les clients ». La directive AFIR va jouer un rôle, avec des stations tous les 200 km. « Idéalement, il faudrait 100 stations très vite et entre 400 et 1000 stations d’ici la fin de la décennie », a-t-il encore indiqué. A cette date, les projections font état d’un parc de 341 000 véhicules roulant à l’hydrogène.

Philippe Boucly a aussi décliné ce thème, en citant la fameuse TIRUERT qui peut rendre les véhicules à hydrogène plus compétitifs, en attendant d’avoir un hydrogène bon marché. Un renfort inattendu est venu de la part de Jean-François Copé. Venu assister à la conférence, le maire de Meaux, Président de la métropole et de Roissy-Meaux Aéropôle, a pris la parole pour inciter la filière « à se faire entendre ». Il a confié à l’assemblée sa conviction que l’hydrogène avait un rôle à jouer dans les zones aéroportuaires (il a organisé des rencontres sur le thème de l’hydrogène en octobre), ainsi que dans la mobilité terrestre. Il est à noter que d’autres acteurs ont pris la parole sur la mobilité, comme Jules Nyssen, le Président du SER (Syndicat des Energies Renouvelables) qui a plaidé en faveur des carburants de synthèse pour l’aviation, et qui constitue une alternative. Pour sa part, le Vice-Président de la région Bretagne, Daniel Cueff, n’a pas manqué de prêcher en faveur des usages en circuit court. La région a fait le choix de l’hydrogène, issu notamment de l’éolien en mer, et qu’elle veut utiliser pour sa flotte de bateaux de pêche. A ce propos, il a été annoncé que toute la filière ostréicole passera à l’hydrogène d’ici 5 ans.

Les réponses de Hoang Bui  

Ayant la lourde charge de décrypter les propos tenus par Agnès Pannier-Runacher et Roland Lescure chez Symbio, Hoang Bui était attendu au tournant. Le coordonnateur des stratégies nationales hydrogène décarboné et décarbonation de l’industrie n’a pas éludé la question de la mobilité. Il a indiqué que la mobilité faisait « une approche par cas d’usage au lieu de segments ». « Les batteries s’améliorent », a-t-il fait valoir. « Il faut donc bien regarder quels sont les usages auxquels peuvent répondre la pile à combustible et le moteur », a-t-il poursuivi, en indiquant que les pouvoirs publics avaient « bien en tête » les avantages en matière de métaux stratégiques, de maitrise des technologies, ainsi qu’en temps de recharge. Par ailleurs, interpellé par Philippe Boucly sur ce point, Hoang Bui a fait savoir aussi que le gouvernement n’écarte pas le moteur à combustion hydrogène. Au niveau de la recherche, « aucune piste n’est écartée, à partir du moment où elle peut faire preuve d’un avantage économique ». Il a évoqué les défis en matière de rendement et de rejet de NOx, mais a reconnu que « ce type de moteur faisait l’objet de développements un peu partout dans le monde ». Plus globalement, il a indiqué que « les premières orientations de la révision de la stratégie nationale se situent dans la continuité ». Il a évoqué une réunion du Conseil National de l’Hydrogène au début de l’année 2024. Au-delà de l’annonce d’une capacité de 10 GW en 2035 pour produire 1 million de tonnes d’hydrogène (le Président de France Hydrogène aurait préféré entre 12 et 14 GW pour tenir compte des e-fuels), il a confirmé que la « France s’ouvrait aux importations ». Une mission a été confiée à ce propos à l’inspection générale des finances (IGF), à l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), ainsi qu’au Conseil général de l’économie (CGE) afin d’évaluer la pertinence des importations de cette molécule. « Nous avons une approche pragmatique, car les besoins des territoires, notamment sur les sites de Fos-Marseille et de la Vallée de la chimie à Lyon font qu’il n’y aura pas assez de capacités en électricité pour assurer une production locale de ces volumes », a-t-il indiqué. Pour autant, « nous avons investi sans regrets dans l’électrolyse, car les premiers besoins dans l’industrie se situent entre 2026 et 2028, et à cette date il n’y aura pas encore d’importation », a poursuivi M. Bui. Dans un premier temps, 500 km de pipelines vont être aménagés au sein des grands bassins industriels, afin d’assurer les besoins pour l’industrie et la mobilité. Ce sera à la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) d’assurer la régulation de ces nouvelles infrastructures. Laquelle discute par exemple avec l’Allemagne, qui prévoit 10 000 km de canalisations dont certaines arriveront à nos frontières.

La question du prix de l’électricité

A travers les tables rondes de la matinée, c’est un autre sujet d’inquiétude qui a été abordé, celui du coût de l’électricité. « C’est un élément central, et pour certains clients ce prix a été multiplié par 10 ou 20 en raison de la crise », a reconnu Emmanuelle Wargon, la Présidente de la CRE. « Avec un prix entre 60 et 80 euros du MWh, il va falloir soutenir la tonne d’hydrogène produite », estime-t-elle. La solution réside sans doute dans les contrats d’électricité à long terme. En charge d’une mission interministérielle sur le sujet, l’ancien Président d’ArcelorMittal, Philippe Darmayan, a reconnu qu’il allait falloir inventer un mécanisme de soutien complémentaire, car les sociétés qui développent des projets d’hydrogène n’ont pas forcément les moyens financiers de s’engager sur 5, 10 ans, ou plus. Il a proposé de prendre en compte par exemple le carbone évité par ce type de production. Au nom de RTE, Thomas Veyrenc estime que « la France a les moyens de relever les défis de la trajectoire de décarbonation », mais qu’il ne fallait pas « fantasmer sur la flexibilité des premiers électrolyseurs ».

Dans le domaine des énergies renouvelables, « il y a de la place pour toutes les énergies », estime Jules Nyssen du SER. « Tout le monde en convient, il faut plus de solaire et d’éolien en Europe, notamment de l’éolien off-shore, mais les gens sont déjà moins d’accord quand les projets se font près de chez eux », a-t-il poursuivi. L’éolien marin est aussi poussé par la Bretagne, qui a 5 600 km de côtes et entend bien profiter de cette façade pour répondre à ses besoins énergétiques. Elle entend d’ailleurs réclamer à l’Etat une gouvernance régionale à ce propos. Tout comme la Normandie et les Pays de la Loire, la région Bretagne veut expérimenter l’hydrogène local.

Président d’Evolen, Jean Cahuzac redoute un scénario identique à celui des panneaux solaires en Europe. Il redoute par exemple que des pays comme le Maroc, le Chili et les Etats-Unis soient mieux placés pour produire des e-fuels. Il a été rejoint par Alexandre Saubot, de France Industrie : « à force de vouloir laver plus blanc que blanc, on va finir par faire venir de l’hydrogène qui vient d’ailleurs ». Bien entendu, la question de l’hydrogène naturel s’est invitée à la conférence. En raison du potentiel en volumes et de son coût, bien inférieur à celui de l’hydrogène renouvelable par électrolyse, cet « or blanc » pourrait donner un avantage compétitif à la filière. En tant qu’expert du sujet (il était précédemment chef du bureau des hydrocarbures au ministère de la Transition Energétique, Hoang Bui a un peu douché les espoirs en soulignant que « même si la France a pris les devants en procédant à la réforme du code minier, en ajoutant l’hydrogène naturel comme substance de mines », « l’exploration minière n’est pas pour demain ». Il a expliqué que 6 permis ont été déposés et qu’un seul a été octroyé, pour une durée de 5 ans et pouvant être prolongé jusqu’à 10 ans. « Cela va prendre du temps, car il faudra faire des forages, ainsi que des tests de production ». « On surveille cela de près, mais il faudra vraiment voir ce qu’on arrivera à produire » , a-t-il ajouté, rappelant que la France ne produit que 1 % de ses besoins en hydrocarbures…