Carburants d’aviation durable : la France accélère la création d’une filière stratégique

Pour le secteur aérien, ils présentent l’avantage de pouvoir être utilisés directement dans les moteurs thermiques existants, sans nécessiter de modifications lourdes des flottes ou des infrastructures.En complément des biocarburants, ils permettent de décarboner le transport aérien en évitant d’accroitre la pression sur les ressources en biomasse et les conflits d’usage qui en découlent.
La France, à travers des initiatives telles que l’appel à projets Carb Aero lancé en 2023 dans le cadre du programme France 2030, soutient activement le développement de cette filière stratégique et se positionne aujourd’hui comme le leader européen des projets de production d’e-carburants. Une première vague de projets emblématiques a déjà été soutenue tandis qu’une deuxième est également prévue, mettant en lumière l’engagement de l’État pour le soutien à l’émergence de cette filière.
Appel à projets Carb Aero : quatre projets pour structurer la filière française de carburant d’aviation durable
En réponse à l’objectif européen ReFuelEU Aviation, qui impose des quotas progressifs de carburants de synthèse (e-SAF) aux compagnies aériennes, l’appel à projets Carb Aero vise à lancer la filière de production d’e-SAF française en finançant une partie des études d’ingénierie d’avant-projet (FEED en anglais) des projets.
Le nom des lauréats a été annoncé par le ministre chargé des Transports, Philippe Tabarot, le 23 avril. Cette annonce a fait suite à la publication de la Stratégie Nationale Hydrogène révisée le 16 avril. Quatre projets ont été sélectionnés pour leur maturité technologique, leur impact territorial et leur capacité à atteindre rapidement l’échelle industrielle, représentant au total près de 1 GW d’électrolyse. Tous intègrent l’hydrogène bas carbone au cœur de leur processus.
- DEZiR – Verso Energy (Rouen)
Le projet DEZiR, porté par Verso Energy, s’implante à proximité de Rouen, en Normandie. Il vise la production de 81 000 tonnes de e-SAF par an, à partir d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau et de CO₂ capté. L’implantation bénéficie d’un maillage industriel dense et de la proximité des aéroports franciliens, qui constituent une cible prioritaire pour la commercialisation de ces carburants. Le projet prévoit une mise en service industrielle avant la fin de la décennie.
- KerEAUzen – ENGIE (Le Havre)
Deuxième projet lauréat sur l’axe Seine, KerEAUzen est piloté par ENGIE et implanté sur la zone industrialo-portuaire du Havre. Avec une capacité annoncée de 70 000 tonnes d’e-SAF (carburants aériens synthétiques, Synthetic Aviation Fuels en agnlais) par an, il mise sur les atouts logistiques du site, déjà engagé dans la transition énergétique via le programme Le Havre Smart Port City. KerEAUzen adopte une approche d’économie circulaire à l’échelle locale : chaque année, l’entreprise récupérera 290 000 tonnes de CO2 provenant de l’industrie havraise. Des échanges d’hydrogène et de chaleur fatale seront également réalisés avec les entreprises présentes sur le site.
De plus, ENGIE exploitera un grand nombre d’infrastructures existantes pour réduire au maximum l’empreinte carbone du projet, telles que les voies ferrées, les routes, les pipelines ainsi que le réseau électrique.
- BioTJet – Elyse Energy (Lacq)
Le projet BioTJet, mené par Elyse Energy, innove en alliant biomasse durable provenant principalement de résidus sylvicoles et de déchets de bois en fin de vie, ainsi que de l’hydrogène bas carbone. Implanté sur le bassin industriel de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, il prévoit la production annuelle de 87 000 tonnes d’e-bioSAF, un carburant hybride utilisant la biomasse à la place du CO2. Ce carburant a un potentiel de réduction des émissions de CO2 de 80% contribuant ainsi de manière significative à la décarbonation du secteur aérien.
- Take Kair – Hynamics (Nantes Saint-Nazaire)
Enfin, le projet Take Kair, porté par Hynamics – filiale d’EDF dédiée à l’hydrogène -, s’implante sur le port de Nantes Saint-Nazaire, acteur majeur de la décarbonation maritime et aérienne. Le projet prévoit une capacité de 37 500 tonnes d’e-SAF par an et s’inscrit dans la dynamique régionale portée par l’écosystème « Vallée Hydrogène Grand Ouest ». Take Kair entend s’appuyer sur les infrastructures existantes pour un déploiement rapide et une logistique intégrée vers les aéroports régionaux. Take Kair permettra ainsi de diviser par 5 les émissions de CO2 par rapport à l’utilisation de kérosène d’origine fossile.
Au total, 100 millions d’euros de soutien public sont alloués à ces quatre projets dans une première phase, sur les 200 millions annoncés par Emmanuel Macron en juin 2023. Il a indiqué : « L’annonce des lauréats de Carb’Aero ancre la transition écologique au cœur de notre politique industrielle, en structurant un écosystème d’innovation, de savoir-faire et de production, au service de notre souveraineté et de notre compétitivité ».
H4 Marseille Fos : vers la première plateforme e-SAF euro-méditerranéenne
Révélé lors du sommet Choose France 2025, le projet H4 Marseille Fos est porté par Hy2gen et H2V. D’ici 2030, il prévoit la production de 75 000 tonnes d’e-SAF (par an, avec une réduction de 84 % des émissions de CO₂ par rapport au kérosène traditionnel. Implanté sur la plateforme industrielle de Fos-sur-Mer, H4 ambitionne de devenir la première infrastructure euro-méditerranéenne dédiée à la production de carburants durables pour l’aviation, plaçant la région au cœur de l’effort européen pour une aviation décarbonée, afin de répondre aux objectifs européens fixés par le règlement ReFuelEU. Le projet mobilise 390 MW d’électrolyse et repose sur la technologie innovante du « methanol-to-jet », qui transforme le e-méthanol en e-kérosène.
La Région Sud joue un rôle clé dans le projet en s’engageant pleinement pour faire de Fos-sur-Mer un véritable hub européen de l’hydrogène et des e-SAF, en s’appuyant sur des carburants de synthèse issus du CO₂ et de l’hydrogène. L’Aéroport Marseille Provence et VINCI Airports sont également partenaires, avec pour objectif de proposer dès 2030 une offre locale d’avitaillement en carburant durable, visant à dépasser les obligations réglementaires et à soutenir une aviation plus propre et compétitive.
Au-delà de son impact environnemental, le projet H4 aura un impact significatif en matière de réindustrialisation, créant 165 emplois qualifiés. Il répond également aux priorités de la Stratégie nationale hydrogène révisée, qui place les carburants de synthèse au cœur des priorités d’investissements. De même, les projets HyLann et Occi’jet, respectivement portés par QAIR à Lannemezan et MGH Energy en région toulousaine, contribueront à l’essor de la production d’e-SAF en France, avec pour objectif de produire un total de 105 000 tonnes de carburant durable par an.
Une filière stratégique à structurer collectivement
France Hydrogène salue le soutien à l’émergence d’une filière de production nationale pour les carburants d’aviation durable à travers l’annonce des lauréats Carb Aero. L’association appelle à la construction dès à présent de cette filière stratégique structurée autour de grands projets industriels, de compétences territoriales fortes, et d’un cadre réglementaire clair.
« La France a les cartes en main pour devenir leader européen de l’hydrogène et des carburants aériens synthétiques, réduire nos imports d’énergies fossiles qui nous rendent vulnérables, et en faire un levier majeur de maintien et surtout d’implantation de nouvelles activités industrielles et d’emplois non délocalisables » a déclaré Philippe Boucly, Président de l’association. Il a également ajouté : « Le soutien à l’émergence d’une filière de production d’hydrogène pour la fabrication de carburants synthétiques en France est une opportunité dans laquelle la filière est pleinement engagée, avec des atouts et des acteurs déjà mobilisés ».
Lorsque l’électrification directe n’est pas adaptée au besoin du transport aérien, les carburants de synthèse apparaissent comme des solutions indispensables. Les projets soutenus par Carb’Aero et l’initiative H4 à Marseille témoignent d’une réelle volonté d’accélération et d’engagement autour de cette filière, à la fois de la part des acteurs et de l’Etat.
Pour que ces efforts portent leurs fruits, il faudra toutefois assurer la production d’électricité bas-carbone en amont, sécuriser les intrants (hydrogène, CO₂) et veiller à l’acceptabilité sociale et territoriale de ces nouvelles infrastructures. La France joue ici une carte stratégique, entre décarbonation, réindustrialisation et souveraineté énergétique.