Vous venez de lancer les Rencontres de Roissy-Meaux Aéropôle. En quoi ce nouvel événement consacré à l’hydrogène dans l’aéronautique se distingue-t-il des autres ? 

La volonté n’est pas d’entrer en concurrence avec tel ou tel événement. Ce que j’ai voulu, surtout, avec mes collègues et amis des communes membres de ce territoire, qui va de Roissy à Meaux, et qui couvre 500 000 habitants, c’est instaurer un rendez-vous annuel pour débattre du poids des nouvelles énergies dans les transports. En vedette, il y a bien évidemment l’hydrogène qui aujourd’hui – sans mauvais jeu de mots – électrise les esprits. Il y a ceux qui sont très contre, ceux qui sont très pour. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il y a, à travers l’hydrogène, le moyen pour la France de conquérir son indépendance énergétique. Il est donc important que des responsables politiques, des élus, comme c’est le cas ici dans un territoire majeur, et qui plus à proximité d’un aéroport – et non des moindres, celui de Roissy Charles-de-Gaulle et juste à côté celui du Bourget – puissent faire ce travail de débats de haute tenue. Pour y parvenir, j’ai proposé aux grands acteurs français, industriels et politiques, de venir. Ils ont accepté et c’est ce qui nous a valu des plateaux remarquables.  

Il y avait en effet un aréopage de personnalités… 

Nous avions aussi bien le ministre de l’Economie ; Bruno Le Maire, que celui des Transports, Clément Beaune, que la Présidente de la Région, Valérie Pécresse. Il y avait aussi le Président d’Airbus, Guillaume Faury, celui d’ADP, Augustin de Romanet, des dirigeants de Safran, d’Air France, EDF, Air Liquide, de la Banque des Territoires. Nous avons réussi à mobiliser des acteurs-clés, tout comme des patrons de start-ups qui participent au développement de cette réflexion et de cette action pour faire de la France un pays de référence dans ce domaine. 

Dans votre territoire de Meaux, comment voyez-vous le développement de la mobilité hydrogène ? 

Notre idée c’est de profiter évidemment de la chance que nous avons d’être à proximité d’un aéroport pour créer un écosystème. De ce point de vue, il y a des perspectives très intéressantes que nous comptons bien développer. On s’est organisé au sein de ce groupement de l’aéropôle Roissy-Meaux qui rassemble quatre communes.  

Et vous avez choisi de vous associer à France Hydrogène… 

Absolument, l’association est co-organisateur avec Aéroports de Paris qui est pour nous évidemment un acteur majeur. Cela donne un ensemble à la fois solide et capable de proposer pour demain des développements territoriaux qui vont servir aussi la nation. Et cet événement sera récurrent. 

Ce qu’il faut retenir de cette première édition 

A l’occasion des Rencontres de Roissy-Meaux Aéropôle, une table ronde a permis au PDG d’Airbus de préciser l’agenda et la forme que prendra le futur avion à hydrogène du groupe franco-allemand. D’abord, Guillaume Faury a tenu à souligner que l’idée ne date pas d’hier. « L’avion à hydrogène, on y travaille de façon sérieuse et depuis longtemps », a-t-il déclaré en préambule. Puis, il a précisé l’agenda. L’objectif est bien de mettre en service un avion certifié en 2035. Ce sera un avion régional, d’une capacité de 100 places et de 1 000 nautiques. Le PDG d’Airbus estime que cet avion sera dans le bas du segment, en dessous de l’A318. Mais, cet avion sera différent. Comme il va embarquer de l’hydrogène liquide, les réservoirs seront d’une forme différente et on ne pourra pas les placer dans les ailes. Donc, la forme de l’avion sera elle aussi différente et le service également. “Il y a plusieurs problèmes à résoudre”, a confié le dirigeant. Qui a glissé au passage que le kilo d’hydrogène contenait trois fois plus d’énergie. Sur un plan technique, les choix seront faits vers 2025 au niveau des architectures. Le développement se fera ensuite à partir de 2027, avec des éléments testés au sol puis en vol. A ce stade, Airbus explore plusieurs voies, dont une qui concerne le moteur à hydrogène avec Safran. A ce propos, le Directeur Général de l’Entreprise, Olivier Andriès, a tenu à préciser que « l’hydrogène ne sera pas un élément essentiel dans la décarbonation du transport aérien en 2050 ». Mais, « cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’en occuper dès maintenant et que cette solution n’est pas séduisante », a-t-il ajouté. 

En attendant, la solution la plus immédiate pour décarboner le transport aérien repose sur les SAF (sustainable aviation fuels). A ce propos, un éclairage a été apporté par Joel Navaron de TotalEnergies. Il a indiqué que la technologie la plus mature repose sur le procédé HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids). Les besoins en SAF de l’Europe seront de 4 à 5 millions de tonnes en 2025 et de 25 millions de tonnes en 2030 (dont 6 millions pour l’Europe et 500 000 tonnes pour la France). Chez Air France, la directrice générale Anne Rigail a indiqué que les SAF représentaient aujourd’hui 1% de la consommation des avions. C’est ce qu’impose d’ailleurs la réglementation. Mais, la compagnie nationale est très volontariste sur le sujet, qu’elle suit depuis 2011. Air France a l’ambition d’augmenter progressivement cette part à au moins 10% sur ses vols, d’ici 2030. C’est pour cela qu’elle sécurise ses approvisionnements en vue de cette échéance. La dirigeante d’Air France a invité à regarder ce qui se passe en dehors des frontières. Et cela vaut aussi bien pour les projets de production de SAF en Allemagne à partir de biomasse que pour le prix de ces carburants en Amérique du Nord. Pour Guillaume Faury, le Président d’Airbus, « on ne va pas assez vite sur les SAF ». Il a cité l’exemple des Etats-Unis, qui sont « partis plus tard mais plus fort ». Encore une fois, il semble que l’Europe soit en perte de vitesse dans un monde qui bouge de plus en plus vite. Et pourtant, « les avions que l’on sort pourraient tourner à 50% avec ces carburants » a-t-il lancé. 

Les plateformes aéroportuaires préparent dès maintenant l’arrivée de ces carburants. Le matin même des Rencontres, on apprenait qu’une étude allait être lancée par Aéroports de Paris et GRTgaz pour voir comment allait pouvoir être acheminé l’hydrogène vers les aéroports d’Orly et du Bourget avec des canalisations. Il faut rappeler aussi qu’ADP et Air Liquide ont fondé la toute première coentreprise spécialisée dans l’intégration de l’hydrogène dans les infrastructures aéroportuaires. Elle a pour nom « Hydrogen Airport » et propose une gamme complète de services, de l’évaluation des besoins en hydrogène à la planification logistique, en passant par les études de sécurité et les analyses des coûts. S’agissant des aéroports parisiens, leur président, Augustin de Romanet, a indiqué que les besoins pourraient être de 1 000 tonnes par jour. Un chiffre qui pose la question des infrastructures de transport. A ce propos, Thierry Trouvé, le Directeur Général de GRTgaz a précisé que l’hydrogène transporté par ses canalisations se trouvait sous forme gazeuse. Cela nécessite donc à l’arrivée de le liquéfier. Sous forme d’hydrogène ou de ses dérivés, ce précieux carburant pourrait même venir du Havre. Le Directeur Général Adjoint d’Engie, Franck Lacroix, a évoqué le projet Salamandre qui permettra précisément de produire du e-kérosène pour l’aviation. En ce qui concerne Air Liquide, la Directrice de l’Innovation, Armelle Levieux, a indiqué que le groupe était capable de fournir en fonction des besoins de l’hydrogène liquide ou de l’hydrogène gazeux. Cette solution est par exemple adaptée pour les petits avions, en particulier ceux qui feront l’objet d’un rétrofit. Augustin de Romanet s’attend à voir prochainement des appareils d’Universal Hydrogen, ZeroAvia et Beyond Aero. Cet été, le Groupe ADP a décidé de s’allier à des pionniers de l’aviation régionale décarbonée pour accélérer l’arrivée avant 2030 d’aéronefs de 2 à 100 places à propulsion électrique ou hydrogène sur ses aérodromes et sur les aéroports de Paris-Le Bourget, Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle. A ce stade, ADP anticipe également sur une éventuelle production locale. Des dizaines d’hectares ont été réservés autour de Roissy dans l’hypothèse où des usines de production d’hydrogène pourraient assurer un complément. Engie a apporté également un éclairage sur la plateforme de Toulouse-Blagnac, où un électrolyseur a été installé. « La molécule d’hydrogène sera un élément cœur dans le cadre d’une transformation très large », a souligné Franck Lacroix. Enfin, les aéroports vont accueillir des véhicules terrestres à l’hydrogène. On pense aux bus, mais il y a également les engins qui circulent sur le tarmac. A ce propos, le groupe Europe Handling a exposé sa vision de véhicules qu’il aimerait codévelopper avec des partenaires. Et il apprécierait une aide de l’ADEME dans ce domaine.