Si l’accent est mis sur le zéro émission et l’hydrogène vert, la combustion d’hydrogène dans un moteur thermique peut faire sens dans un certain nombre d’applications, en particulier pour la compétition automobile, le camion et même les bateaux.

Alors que Gaussin vient de faire rouler son camion hydrogène à pile à combustible sur les pistes d’Arabie Saoudite, on peut aussi brûler de l’hydrogène dans un moteur à combustion. Et il y a des projets pour développer ce type de motorisation sur le célèbre rallye-raid. Ainsi, le motoriste français Pipo Moteurs, qui s’est distingué en 2021 par son travail auprès de la Scuderia Cameron Glickenhaus en Hypercar aux 24 Heures du Mans (avec une 3e place), entend participer au Dakar en 2023 avec ce type de technologie.

« Le moteur à hydrogène, c’est la troisième génération de moteur après l’essence et le diesel au siècle dernier. Les pièces habituelles sont présentes mais tout est différent : la taille des turbos, la géométrie de cames, les rapports volumétriques », explique Frédéric Barozier, le directeur. Il y a un réel intérêt pour la technologie et c’est la raison pour laquelle ORECA Magny-Cours – un acteur majeur dans le domaine de la préparation moteur – a décidé de faire évoluer un de ses bancs d’essais. Dès la fin du premier trimestre, l’entreprise pourra ainsi répondre aux demandes de constructeurs, de promoteurs ou d’équipes privées qui souhaiteraient tester des moteurs à technologie hydrogène. ORECA dispose d’une machine BORGHI d’une capacité de 800 CH et 1000 N.m.

« Grâce à une synergie entre nos outils d’analyse de combustion de dernière génération, notre Bureau d’Études et nos partenaires de simulation combustion, toute l’équipe est enthousiaste à l’idée de développer les moteurs de demain », commente Vincent Garreau, Directeur de Projet sur le site de Magny-Cours. Ce banc de test servira aussi aux équipes d’ORECA Magny-Cours, développant en parallèle une future motorisation à hydrogène qui pourra équiper les véhicules des concurrents du Dakar à partir de 2024. « Depuis toujours, la compétition constitue un formidable laboratoire de recherche. C’est dans cette optique et animé par l’envie d’être acteur du futur de tous qu’ORECA va s’investir dans ces nouvelles technologies qui propulseront les véhicules de demain », souligne Serge Meyer, Directeur d’ORECA Magny-Cours. Précisons qu’ORECA est membre du pôle Véhicule du Futur, qui a ouvert une antenne sur la technopole de Magny-Cours. Le pôle lui a d’ailleurs récemment accordé sa labellisation officielle.

Toyota y croit dans l’auto, pas Honda

On peut faire le parallèle avec Toyota. Le géant japonais, qui est pourtant un pionnier de la pile à combustible, a développé un moteur à hydrogène sur une voiture de compétition au Japon. La Corolla engagée en championnat Super Taikyu avait des performances comparables à son équivalente à essence et ne réclamait que quelques minutes pour faire le plein, avec un carburant produit à partir d’eaux usées (dans le cadre d’un partenariat avec la ville de Fukuoka). L’auto devrait d’ailleurs courir à nouveau sur des circuits au Japon. D’autres constructeurs de l’archipel comme Mazda, Subaru, Kawasaki et Yamaha ont fait part de leur souhait d’utiliser de l’hydrogène dans les moteurs en compétition, y compris comme ingrédient pour des carburants synthétiques. La seule voix dissonante vient de Honda, dont le Président, Toshihiro Mibe, a fait savoir que l’entreprise avait fait le choix d’abandonner cette voie il y a dix ans, en raison de difficultés techniques. Il ne pense pas que la solution soit adaptée aux voitures.

Camions : avec ou sans pile à combustible

Filiale du groupe Traton (Volkswagen), MAN Truck & Bus intègre l’hydrogène dans sa feuille de route pour le transport zéro émission. L’industriel de Munich veut tester à la fois l’utilisation d’une pile à combustible et l’hydrogène en tant que carburant dans un moteur à combustion. Des essais seront réalisés en coopération avec des clients sélectionnés à l’horizon 2023-24. Ils se feront dans le cadre d’un projet local, baptisé flotte bavaroise. L’objectif est de tester l’ensemble de l’écosystème hydrogène dans le secteur de la logistique des transports, avec des opérateurs d’infrastructures et des transporteurs. Leader du moteur diesel en Amérique du Nord, Cummins se lance aussi dans le développement d’un moteur à combustion alimenté à l’hydrogène. D’après l’industriel, ce choix permet de convertir des moteurs existants sans obérer la charge utile ou l’autonomie du véhicule ; la densité énergétique élevée de l’hydrogène offrant des possibilités de stockage de gaz embarqué facilement intégrables. De plus, les moteurs à hydrogène peuvent utiliser de l’hydrogène vert, n’émettant alors quasiment plus CO2 et rejetant de faibles niveaux de NOx. Tout comme MAN, Cummins développe en parallèle une expertise autour de la pile à combustible, suite au rachat de la société Hydrogenics en 2019.

Une solution viable pour le bateau ?

La combustion d’hydrogène sous toutes ses formes a encore plus de potentiel dans le secteur maritime et c’est un vrai sujet pour MAN Energy Solutions. « Il faut distinguer les usages en fonction du type de moteur, à 2 temps ou à 4 temps », explique en préambule Nicolas Bulot*, responsable de service au sein de la filiale française. Ainsi, il n’y a pas client à court terme pour les moteurs 2 temps à hydrogène pur. D’un poids pouvant atteindre 1000 tonnes, ils équipent des navires tels que les porte-containers, les gaziers et les pétroliers. Les carburants utilisés sont potentiellement des dérivés d’hydrogène : le gaz de synthèse (depuis 20 ans) et plus récemment le méthanol (depuis 2016). Un développement est toutefois en cours avec de l’ammoniac pour une livraison du moteur au chantier naval en 2024.

« Pour les moteurs 4 temps, il y a quelques cas d’usage pour l’hydrogène », indique Nicolas Bulot. « Nous avons ainsi validé au banc d’essai le fonctionnement d’un moteur avec un mélange à 25% d’hydrogène et 75% gaz naturel. Et ce, sans modifier les machines. Pour fonctionner à l’hydrogène pur, la technologie actuelle de nos moteurs gaz est couplée à une réduction de puissance. Ceci permet de proposer à nos clients une première gamme prêtes à la vente avant 2025. Pour la suite, afin de retrouver des performances équivalentes aux moteurs actuels, nous développons une nouvelle technologie d’injection de l’hydrogène. Cette gamme de moteur sera disponible à la vente entre 2025 et 2030 en fonction de l’appétence du marché », précise cet expert.

« Pour ce qui est de brûler de l’ammoniac dans nos moteurs 4 temps, la roadmap de développement est équivalente ; c’est à dire une mise sur le marché à horizon 3 à 8 ans. Toutefois, l’ammoniac étant toxique, il est impératif de veiller à éliminer toute trace à l’échappement. Pour le méthanol dans les moteurs 4 temps, ce sera avant 2025. C’est un carburant alternatif qui a le vent en poupe et qui n’est pas spécialement complexe à mettre en œuvre ». Pour MAN Energy Solutions, qui se base sur des sondages réalisés auprès de clients, « c’est bien une panoplie de plusieurs carburants alternatifs qui permettra la décarbonation du transport maritime. L’hydrogène en est un aux côtés de ses dérivés : méthanol, ammoniac, gaz de synthèse ou autres e-fuel ». M. Bulot précise au passage que le groupe a une expertise dans le stockage à basse température. Il dispose d’une société spécialisée, MAN Cryo, qui développe des réservoirs cryogéniques pour les navires. De plusieurs dizaines de mètres cube, le premier réservoir à hydrogène liquide est sorti d’usine l’été dernier. « Nous sommes prêts pour livrer des réservoirs allant jusqu’à 300 m3 », annonce Nicolas Bulot.

*Délégué régional de France Hydrogène en région Pays de la Loire

Réservoir Cryogénique – MAN Cryo

L’IFPEN mène des recherches sur le sujet

Quoi qu’il en soit, plusieurs industriels regardent de près cette alternative. En France, l’IFP Energies nouvelles (IFPEN) fait partie des acteurs qui s’impliquent dans la recherche. Pour l’institut, « cette technologie apporte une solution de mobilité sans émissions de CO2 qui peut être mise en œuvre à court/moyen terme et à moindre coût ». Depuis 2019, l’IFPEN travaille en synergie avec un écosystème d’industriels sur cette solution (tout en étudiant en parallèle la pile à combustible). Les chercheurs ont une expertise dans l’optimisation des systèmes (notamment avec l’outil de simulation Simcenter Amesim de Siemens), dans l’amélioration des rendements des moteurs essence et gaz, ainsi que sur ses outils de modélisation de la combustion, développés avec CSI, éditeur du logiciel Converge, et sur ses moyens expérimentaux.

Afin d’accélérer ses travaux dans le domaine du moteur à combustion hydrogène qui nécessite des adaptations spécifiques, IFPEN s’est récemment doté d’un banc d’essai dédié. Pour la motorisation, le choix a porté sur des solutions technologiques permettant d’obtenir à la fois un très haut rendement et de très faibles émissions d’oxyde d’azote (NOx) : système de combustion en mélange pauvre dérivé des technologies essence, injection directe, suralimentation. « Notre ambition est de se rapprocher des 50 % de rendement et de devenir un acteur de référence dans le domaine de la combustion hydrogène en s’appuyant notamment sur de nouveaux moyens d’essais » affirme Florence Duffour, chef du projet Motorisations Hydrogène au sein d’IFPEN. La solution pourrait être appliquée sur certains segments de marché comme le véhicule utilitaire, le poids lourd longue distance, l’off road (machines agricoles, engins de chantier, etc.) ainsi que le transport ferroviaire, fluvial et maritime.

Le CETIM a des demandes pour des tests

Autre acteur de référence, le CETIM (Centre technique des industries mécaniques) va se doter d’un centre d’ingénierie et d’essais des matériaux pour faire bénéficier à la filière mécanique française d’une expertise dans le domaine de l’hydrogène (voir les actus France). Le centre s’inscrit dans le cadre du projet HyMEET (Hydrogen Material and Equipement Engineering and Testing Center) en région Pays de la Loire. « Indirectement, il va permettre de répondre à des demandes d’industriels qui souhaiteraient évaluer de nouvelles solutions technologiques pour la combustion à hydrogène. Nous avons déjà des demandes en ce sens et dans toute l’Europe », indique Christophe Champenois, qui est depuis novembre dernier directeur du projet stratégique Hydrogène au CETIM. Le centre d’ingénierie va étudier l’adaptation pour l’hydrogène de composants tels que les compresseurs, les tubes, les vannes, les pompes, et tout ce qui relève de la mécanique. Toutefois, M. Champenois précise que la combustion de l’hydrogène « n’est pas une brique prioritaire ». Sur ce sujet, l’organisme laisse en première ligne l’IFPEN, qui a plus d’expertise, et avec lequel il a des échanges. De la même façon, le CETIM dialogue avec l’ONERA (Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales) dans le domaine aéronautique avec lequel il a des liens forts.

CETIM

Des applications dans le bâtiment et les centrales

En revanche, c’est un sujet qui concerne plus le CETIAT (Centre Technique des Industries Aérauliques et Thermiques), un établissement d’utilité publique créé en 1960 à la demande des industriels, et avec lequel le CETIM collabore étroitement. Ce centre travaille sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, ainsi que sur la qualité des environnements intérieurs sur les plans du confort acoustique, thermique et de la qualité de l’air. Précisément, le CETIAT s’intéresse au chauffage urbain. Il a eu l’occasion de participer au projet GRHYD à Dunkerque et de réaliser des tests en laboratoire sur les chaudières brûlant de l’hydrogène en mélange avec du gaz naturel. Il avait constaté que « le rendement utile est augmenté, l’hygiène de combustion et la qualité de l’air sont améliorées, essentiellement par la réduction des émissions de polluants, en l’occurrence les oxydes d’azote ». Toujours dans le stationnaire, Man Energy Solutions pense également pouvoir répondre à des besoins pour les centrales électriques avec des moteurs 4 temps. Il est d’ores et déjà possible de proposer un mix entre l’hydrogène et le gaz. La combustion d’hydrogène pur est une option dès 2025, sachant qu’il faudra ensuite développer des injecteurs à haute pression en prévision de 2030.